« Nous ne savons rien »

Edito politique par Claire Roumet


À propos

Date de publication

09 avril 2020

Comme il est difficile d’écrire un édito dans une période aussi tourmentée, dans une Europe aussi divisée. Nous sommes bombardé·e·s de mille et une informations à la minute. Il est vraiment difficile dans ces conditions de ne pas avoir cette impression d’être dans un tourbillon oscillant entre l’espoir fou d’un autre monde et l’horreur d’une réalité macabre.

Cette confusion érode toujours plus la confiance des citoyen·ne·s dans leurs responsables politiques. C’est perturbant de voir l’éventail des réponses nationales et des choix de mesures entre les pays européens touchés, mais tout aussi frappant d’entendre les commentaires des citoyen·ne·s envers leurs gouvernements, ou ceux des dirigeant·e·s d’un pays envers leurs pairs : toujours plus de défiance.

Et dans toute cette confusion, comment les maires peuvent répondre à l’urgence sanitaire, aux drames sociaux, garantir les fonctions vitales de la ville et déjà se projeter dans le désastre économique post-crise annoncé ?

Ma fille me disait ce matin : « Je ne pensais pas que cela serait si dur de vivre sans pouvoir aller à la bibliothèque ! » Je ne sais pas si c’est sa petite escapade en totale liberté (sans doute un peu plus loin que la bibliothèque…), ou si ce sont vraiment les livres qu’elle regrette ; mais ce service municipal est pour elle indispensable ! Pour Bruno Latour, nous devons faire d’urgence l’inventaire de ce qui est essentiel, de ce à quoi nous tenons et il n’est pas de meilleur moment pour le faire que maintenant, puisque nous sommes privé·e·s de l’accès à tout ce qui n’est PAS « essentiel » .

… Relançons le plus rapidement possible la production

… Surtout pas !

Faire cet exercice à l’échelle de chaque ville pour penser l’après, ou plutôt pour penser l’avenir tout simplement, parce que je ne suis pas sure (encore une chose que l’on ne sait pas) qu’il y ait un « après » ; cela permettrait de penser enfin la résilience territoriale réelle, pas celle fantasmée, mais bien une économie basée sur les besoins et les ressources de chaque communauté, quartier, aire agricole, micro-région… L’échelle pertinente étant fluctuante. Par exemple, pour le papier toilette, qui a une forte valeur sur l’échelle des besoins, je suis rassurée de savoir qu’il y a une usine de production à moins de 100 km de chez moi. Par contre, elle est approvisionnée par du bois venant des quatre coins du monde et consomme une quantité astronomique d’eau et d’électricité ! L’énergie et la matière première n’étant pas produites à proximité, il y a tout un nouvel écosystème d’approvisionnement à penser.

Kate Raworth, auteur de ‘Doughnut economy’ vient d’adapter son approche aux territoires et propose des outils pour décrire les ressources locales et définir une stratégie. Elle vient de finir l’exercice avec les acteurs de terrain pour la ville d’Amsterdam.

Comme le précise Christian Salmon dans son article « Coronarration » : « gouverner n’est plus prévoir mais gérer l’imprévisible ». Et c’est aussi vrai au niveau local. Mais pour cela, il faut avoir une image précise de nos ressources endogènes. Il faut décrire notre situation initiale autrement.

Si la crise sanitaire que nous traversons amplifie la crise de confiance envers les décisions et la parole politique, il est primordial que les élu·e·s s’appuient sur l’expérience de solidarité que chacun·e vit dans son quartier où s’organisent des solutions au plus près des besoins (comme par exemple les masques fabriqués par les couturières de façon décentralisée à Bruxelles). Cette expérience partagée donnera la force de construire la résilience. Il ne faut pas avoir peur alors, et nourrir cette confiance entre citoyen·ne·s et municipalités pour parvenir à se dire : « Je ne sais pas ». 

On ne sait pas comment faire, mais peut-être que vous avez des idées ?

La crédibilité des dirigeant·e·s locaux·les sera renforcée en ouvrant  « espaces tous risques »[1] ; des lieux d’expérimentation. Il est urgent de dire : « On ne sait pas comment faire, mais peut-être que vous avez des idées ? » La ville d’Helsinki l’a fait récemment en lançant son « Helsinki Energy Challenge » qui récompensera la meilleure solution proposée pour décarboner le chauffage urbain.

Nous ne savons pas, mais nous allons trouver ensemble. Sur la base de ce à quoi nous tenons réellement, sur la base de nos ressources locales, de nos interdépendances avec les territoires voisins, de la solidarité des villes en réseau, partageant leurs expériences pour mieux les multiplier. C’est le rôle d’Energy Cities, le rôle du CLER, et de tant d’autres partenaires.

Finalement, nous ne savons rien de l’avenir, est c’est tant mieux, parce que l’on peut néanmoins s’y préparer en choisissant de renforcer la confiance et de décider nous-même de ce à quoi nous tenons.

PS : j’en profite pour remercier la revue AOC, un quotidien d’idées d’une incroyable qualité à laquelle Energy Cities est abonnée et dont les derniers articles m’ont bien inspirés pour cet édito. Abonnez-vous !


[1] Expression d’Hervé Maillot, de l’atelier coopératif du Rectorat de l’académie de Besançon  dans lequel des formes nouvelles d’échanges, de coopération et de co-élaboration de solutions ouvrent des espaces d’expérimentation et de confiance dont bien des acteurs de la société civile et décideurs locaux se privent encore