« Le concept de maison passive existe depuis plus de 25 ans et le marché est en train d’évoluer. J’ai le sentiment que nous sommes arrivés à un point de bascule : l’intérêt pour les maisons passives s’est peu à peu développé et maintenant ce terme est sur toutes les lèvres. Ce concept dont on faisait peu de cas au départ est devenu une norme de construction de plus en plus reconnue comme une solution qui a fait ses preuves pour réduire significativement l’empreinte carbone des bâtiments. »
Jessica Grove-Smith, une physicienne travaillant pour le Passive House Institute, utilise ses connaissances pour créer des modèles énergétiques dans le cadre de projets de maison passive, des projets qui peuvent concerner aussi bien des maisons individuelles que des immeubles d’habitation, des bureaux, ou encore des écoles et autres bâtiments d’enseignement. Cette norme de construction se montre particulièrement intransigeante quant à la nécessité d’économiser l’énergie. C’est pourquoi le Passive House Institute a développé des objectifs de performance énergétique ainsi qu’une méthode de conception impliquant une étanchéité et une isolation à toute épreuve, sans aucun pont thermique, avec une ventilation mécanique dotée d’un système de récupération de chaleur et du triple vitrage, pour des bâtiments sains, exceptionnellement peu bruyants et avec un faible coût de fonctionnement, à la fois financièrement et en terme d’émissions de carbone.
« J’adore mon travail et ce que je fais au Passive House Institute. L’équipe est composée de personnes très diverses, issues de différents horizons, chacun apportant ses propres compétences, sa propre expérience, que nous partageons au sein de l’institut et avec nos partenaires du monde entier. C’est un réseau très uni de personnes qui travaillent toutes avec le même objectif ».
« Nous devons radicalement changer notre approche des bâtiments … » Les bâtiments représentent 40 % de la consommation finale d’énergie en Europe, soit la part la plus importante, et il est clair que des changements sont nécessaires. Or jusqu’à présent, il semblerait que ce sont surtout des villes ambitieuses qui ont contribué à promouvoir la norme de maison passive dans le monde.
« La protection du climat commence au niveau local et notre expérience montre en effet qu’il est bien souvent plus facile et plus rapide de faire bouger les choses dans les villes. C’est pourquoi nous travaillons avec des municipalités afin d’influencer des projets locaux spécifiques. La ville de Heidelberg, par exemple, compte un quartier entier, le quartier de Bahnstadt, construit entièrement selon la norme de maison passive. Il existe également de nombreux autres exemples de municipalités qui ont adopté la maison passive comme la norme d’efficacité énergétique la plus adaptée pour atteindre leurs objectifs climatiques. La Ville de Vancouver, par exemple, s’est dotée d’un plan visant à atteindre zéro émission dans les constructions neuves d’ici à 2030, notamment en imposant la norme de maison passive.
Ce qui me fascine toujours autant c’est la visibilité acquise par ces projets et leur capacité à inspirer et produire du changement. L’expérience d’Heidelberg a ainsi été reproduite en Chine à Gaobeidian, une ville à une centaine de kilomètres au sud de Pékin, où un quartier a été baptisé la ville du rail en hommage au quartier de Bahnstadt (« ville du rail » en allemand) d’Heidelberg. Ce quartier actuellement en cours de construction applique la norme de maison passive et est en passe de devenir le plus grand quartier passif au monde. »
Que doit faire une ville pour se lancer dans la construction de maisons passives ?
Une seule personne réellement décidée à faire bouger les choses et pour qui les bâtiments à haute performance énergétique sont l’avenir du secteur de la construction peut faire toute la différence. Une personne qui travaille avec les entreprises locales, qui croit en cette solution et qui s’emploie à la promouvoir auprès d’eux. Une fois que vous avez lancé le mouvement, le reste suit. En fait il faut trouver des dispositifs qui fonctionnent dans le contexte local. Soutenir les projets pionniers – que ce soit financièrement, ou en les aidant à surmonter ou éliminer les obstacles réglementaires – contribue à développer une dynamique positive en créant une demande pour les matériaux passifs et pour les entreprises ayant les qualifications requises. Une autre approche très efficace pour stimuler le changement consiste pour les municipalités à montrer l’exemple en s’assurant que leurs propres bâtiments sont conformes aux normes les plus exigeantes en matière d’efficacité énergétique. Dans le même esprit, les autorisations de permis de construire peuvent être subordonnées à des exigences en matière d’efficacité énergétique et à des dispositifs d’assurance qualité. Mais quel que soit le dispositif retenu, transformer ce secteur nécessite de maintenir un cap clair quant aux intentions politiques à long terme et de veiller à ce que des mécanismes d’assurance qualité soient en place, afin de garantir une certaine stabilité et donner plus de visibilité.
Mais les villes ne sont pas les seules concernées. Vous devez également travailler avec le secteur particulièrement conservateur et traditionnel du bâtiment.
Il est vrai que le secteur du bâtiment est, dans son ensemble, plutôt conservateur et n’évolue que très lentement. Nous devons vraiment accélérer les choses et modifier radicalement notre approche des bâtiments. En particulier, nous avons besoin d’architectes et de promoteurs qui imaginent les bâtiments différemment. Trop peu de personnes ont conscience de l’importance des choix architecturaux dans l’impact climatique des bâtiments – et notamment la nécessité de réduire la demande de chauffage en Europe afin de diminuer efficacement l’empreinte carbone du secteur. C’est exactement le but des maisons passives : réduire les besoins en chauffage de 90 % par rapport aux constructions conventionnelles.
Notre réseau mondial, la International Passive House Association, s’emploie à partager expériences et bonnes pratiques afin de sensibiliser les professionnels comme le grand public à cette nécessité. Nous travaillons directement avec des fabricants au développement et à la commercialisation de produits encore plus performants. Nous proposons également des formations. C’est ainsi que nous partageons les connaissances acquises depuis la construction de la première maison passive en 1991 et au travers de tous les grands projets qui ont vu le jour depuis dans le monde entier. Ce que j’aimerais c’est que ces connaissances soient enseignées dans les universités afin d’aider la prochaine génération à soutenir l’industrie au fur et à mesure que les changements nécessaires seront mis en place.
Le bâtiment est également un monde d’hommes. En tant que femme qui essaie de faire bouger les choses, cela a-t-il été un handicap dans votre métier ?
Oui, parfois. Cela n’affecte pas mon travail au quotidien car près de la moitié du personnel de l’institut sont des femmes et l’équipe est jeune et très variée. Mais à l’occasion d’évènements ou de conférences, ou lors de réunions de projet, je suis toujours frappée par le fait que cette industrie est essentiellement composée d’hommes. Je suis heureuse de voir que de plus en plus d’efforts sont faits pour sensibiliser le secteur sur la nécessité d’une plus grande égalité et diversité. Et je suis honorée de connaître et de travailler avec toutes ces femmes exceptionnelles de par le monde qui consacrent leur vie à faire bouger les choses et à faire entendre leur voix.
La maison passive est clairement une partie de la solution au dérèglement climatique. Mais pour l’heure, la situation semblent empirer bien plus rapidement que ne le pense la plupart des gens. Ne vous sentez-vous pas parfois accablée par cette avalanche de mauvaises nouvelles concernant le climat ?
Oui, en effet. Il y a des jours où je me dis : est-il encore possible d’agir ? Pouvons-nous encore renverser la vapeur ? Le défi auquel nous sommes confrontés est immense. Ce qui me fait avancer c’est que je suis convaincue que le travail que nous faisons ici, ce que je fais tous les jours, en parlant aux gens, en les incitant à changer, peut faire la différence. Le Passive House Institute et le réseau international qui s’est développé autour de lui contribuent à produire des changements positifs. La tâche est immense mais pour moi et l’équipe, elle est aussi stimulante. Le changement climatique nous place dans l’urgence d’insister sur le fait que nous avons des solutions. Nous devons prendre ces problèmes au sérieux. Mais soyons aussi conscients que nous avons des solutions. Ce qu’il faut c’est en parler davantage et les développer à plus grande échelle.