Alors que la Commission européenne a fait part de sa proposition de « loi européenne sur le climat », avec pour but d’inscrire dans la loi l’objectif du Pacte Vert européen, nous nous sommes entretenus avec Pierre Larrouturou, députée européen et rapporteur sur le budget post 2020 et le programme “InvestEU”. Il nous a fait part de ses espoirs et de ses craintes sur ce sujet.
Alix Bolle, Energy Cities : Quel est votre opinion sur le pacte vert et le projet de loi climat de la Commission européenne ?
Pierre Larrouturou : Une nouvelle Commission qui fait de la lutte contre le climat son « man on the moon moment » [moment de l’homme sur la lune] c’est quand même une nouvelle dont on peut se réjouir !
Dans le paysage dévasté qui est le nôtre actuellement, avec la dernière COP qui n’a abouti sur rien, des projets comme le Green Deal ont au moins le mérite d’exister. Je regrette cependant que la question de son financement soit si nébuleuse avec des supposés effets de levier abracadabrantesques sur lesquels on a aucune garantie. C’est pourquoi je compte bien peser sur les négociations qui auront lieu en tant que rapporteur sur le Budget post-2020 et sur le programme « InvestEU ».
Pour que Green Deal ne rime pas avec green washing, nous plaidons également, de concert avec une série d’ONG, pour un objectif intermédiaire 2030 de 65% compatible avec l’accord de Paris, et non 50 ou 55% comme l’a proposé la Commission.
« Pourquoi l’UE signe-t-elle toujours des projets gaziers en total contradiction avec sa politique climatique ? »
Par ailleurs, il me semble crucial de rendre ce Green Deal plus transversal, en mettant les différentes politiques européennes et internationales en cohérence les unes avec les autres. Quid par exemple, de l’implication de l’Europe dans des traités commerciaux internationaux non soumis aux objectifs du pacte vert ? Pourquoi l’UE signe-t-elle toujours des projets gaziers en total contradiction avec sa politique climatique ? Et que peut-on réellement attendre de la stratégie « Farm to Fork » [de la ferme à l’assiette] sans une réelle refonte de la PAC [politique agricole commune] ?
A.B. : Au-delà des grands projets transfrontaliers d’intégration des marchés électriques, ou des promesses de prouesses technologiques, ne pensez-vous pas que le projet de loi climat devrait accorder une plus grande place à la notion de sobriété énergétique ?
P.L. : Je pense que la solution réside dans le recours simultané à une série de mesures complémentaires. Il est clair que l’intégration des marchés énergétiques européens est une nécessité, mais elle ne résoudra pas tous les problèmes. L’innovation technologique doit aussi être une priorité, notamment l’investissement massif dans les solutions de stockage, qui sont incontournables pour permettre aux renouvelables de changer d’échelle.
Il s’agit aussi de reconstruire nos filières industrielles, notamment pour rendre l’Europe moins dépendante des importations technologiques. Mais en effet, cette relance de l’économie dans la voie de la neutralité carbone passera aussi nécessairement par le renforcement d’initiatives vertueuses et innovatrices au niveau local, en faveur d’une plus grande efficacité et sobriété énergétique. Si on prend seulement l’isolation des bâtiments, le potentiel est énorme. Mais là encore, il faudra une approche intégrée, où l’on ne s’attaque pas uniquement à la dimension financière, mais aussi à tous les freins psychologiques qui peuvent être rencontrés, et là-dessus le rôle des collectivités territoriales sera une fois encore crucial. Il me semble également judicieux, comme vous l’avez proposé récemment, d’adopter une approche qui prend davantage en compte l’échelle du quartier, dans le cadre de la « Renovation Wave » que propose la Commission européenne.
Je pense enfin qu’il y a une réflexion à mener au niveau européen, pour voir quels outils pourraient permettre de généraliser ces tendances. Le recours aux financements via le FEDER pourrait être une première piste, à condition de diriger 50% (contre 25% aujourd’hui) de ses fonds à des objectifs climat.
A.B. : Le projet de loi climat fait peu de cas de la contribution des autorités locales à l’ambition européenne d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Comment pensez-vous que cette participation peut être renforcée ?
P.L. : La participation des collectivités territoriales est en effet incontournable, et à ce titre je pense que la proposition d’instaurer un Pacte Climat – qui prévoit d’associer les parties prenantes – dans le cadre du Green Deal peut s’avérer prometteuse. Mais en effet, il s’agira de créer de réelles dynamiques d’échanges et d’intervention dans les différents processus décisionnels pour que ce Pacte s’avère plus qu’un simple gadget…
A.B. : A ce sujet, ne serait-il pas judicieux d’envisager l’instauration d’un mécanisme institutionnel qui permettrait à ces dernières d’alerter l’exécutif européen en cas d’obstacles (souvent posés par des réglementations nationales) à la mise en œuvre de leurs stratégies climat ?
P.L. : Il existe en effet beaucoup de dysfonctionnements entre les différents niveaux de gouvernance, on peut d’ailleurs le constater au premier plan ici en Belgique. Donc l’idée me parait bonne en théorie, mais je ne suis pas sûr qu’en pratique le niveau européen soit le mieux indiqué pour solutionner ce type de problème.
Il faudrait ajouter un filtre climat systématique à tout projet législatif européen !
A.B. : Selon Energy Cities, la gouvernance économique de l’UE devrait pouvoir répondre à l’urgence climatique, avec une prise en compte systématique de ces considérations dans le budget européen (« climate proofing et mainstreaming ») ainsi que dans les politiques fiscales et budgétaires des États membres. Qu’en pensez-vous ?
P.L. : Je partage tout à fait ce point de vue et j’irais même plus loin : je pense que de la même manière que l’on passe chaque loi au crible de l’analyse financière, il faudrait ajouter un filtre climat systématique à tout projet législatif européen ! Cela permettrait de bloquer toute proposition de directive qui n’est pas compatible avec la trajectoire de l’accord de Paris. Je parlais tout à l’heure des traités internationaux, une telle grille de lecture nous permettrait aussi de mieux mesurer le type d’engagement que devrait ou non prendre l’UE dans l’avenir.
A.B. : Pour finir, quelles seront les principales mesures à prendre à votre avis, pour entamer la reconstruction post-corona ?
P.L. : En lien avec les propositions que nous avons formulées dans le cadre du Pacte Finance-Climat, il apparait plus urgent que jamais de mettre en œuvre une véritable fiscalité verte, grâce à une taxation plus ciblée et efficace, notamment sur les transactions financières et sur les bénéfices des grandes entreprises, tout en continuant à se montrer vigilants vis-à-vis des grands lobbys industriels, qui sont déjà en train de se saisir de la crise actuelle comme prétexte pour se soustraire à certaines obligations climatiques et environnementales et reporter la mise en œuvre du Green Deal.