Y aura t il des concombres à Noël ?

Edito politique par Claire Roumet


À propos

Date de publication

14 octobre 2021

Cette question illustre combien notre économie est dépendante des énergies fossiles, du gaz en particulier. Les serres des Pays-Bas en consomment beaucoup, tout comme de l’électricité, pour produire des concombres tout au long de l’année. Il est maintenant possible que les prix exorbitants de l’énergie fassent de ce légume si familier un produit de luxe. Heureusement, les patates ne poussent pas dans des serres, on pourra toujours avoir des frites. Mais les patates ont besoin d’engrais, donc d’énergie fossile, donc…

Nous venons à peine d’entrer dans l’automne et déjà les prix de l’énergie font la une de tous les journaux et l’objet de discussions au plus haut niveau. Cette semaine, lors du conseil européen informel des chefs d’Etat, le Président du Conseil européen, Charles Michel, a bien essayé d’éviter que ce thème prenne toute la place pendant le dîner, peine perdue… Il y a urgence à trouver des solutions immédiates, la stabilité sociale n’est pas garantie. Une session plénière du Parlement européen a été consacrée à cette question et tous les groupes politiques questionnent les politiques en place. La députée socialiste espagnole, Iratxe García Pérez, fait le parallèle avec la gestion des vaccins à l’échelle européenne et la nécessité absolue d’avoir une réponse géopolitique commune auprès de nos fournisseurs. Le député conservateur roumain, Siegfried Mureșan, propose un renforcement du «Social climate Fund », que la Commission a mis sur la table dans le cadre de l’extension de la directive sur les échanges de quotas d’émissions de CO2.

La tempête sur les marchés s’accompagne d’une avalanche médiatique avec de nouveaux concepts, comme le bouclier énergétique (mesure d’urgence du gouvernement français), de fausses informations (« On va reconstituer les stocks et les prix vont revenir à la normale » ; ou encore « Les prix exorbitants sont dûs aux coûts de production des énergies renouvelables.»), ce qui a créé une intense cacophonie, et nuit gravement à la compréhension des enjeux de cette situation.

Il y a cependant consensus sur l’incapacité des marchés, tels qu’ils sont structurés aujourd’hui, à fournir une énergie abordable et décarbonée.

En résumé, les règles actuelles empêchent de :

  • Décarboner rapidement le secteur de l’énergie,
  • Assurer une sécurité d’approvisionnement,
  • Réduire la précarité énergétique,
  • Garantir un prix abordable pour TOUS les acteurs économiques.

Il est vrai qu’il n’est pas facile de penser de façon rationnelle quand on est au milieu du cyclone. Mais il est tout aussi vrai que le système énergétique ne pourra pas juste adapter à la marge les règles du marché pour que celui-ci fonctionne au mieux. Même le Financial Times le dit ! Le système énergétique ne passe pas de stress test comme le font les banques, et si les régulateurs jouent un rôle majeur dans le bon fonctionnement de ce marché, ils ne peuvent pas faire grand-chose face à des conflits géopolitiques ou une météo capricieuse. Pourtant, il existe des solutions, non pas pour prévoir l’imprévisible, mais pour augmenter considérablement la part du prévisible : réduire nos besoins et produire sur la base de ressources renouvelables.

Réduire nos besoins : typiquement, ce sont les politiques de rénovation des bâtiments, un peu moins typiquement, nos modes de transport. Il y a encore tant à faire, que l’on sait faire, mais qu’il faut déployer. Et le déploiement demande de la planification et des moyens.

Cela demande surtout de penser en termes de « besoins » au lieu de penser à nos « envies ». Et dans les politiques de marché, rien n’est fait pour freiner les « envies » ! Au contraire, elles sont transformées en besoins, qui n’en sont en fait pas. Aller au-delà, c’est vraiment mettre la sobriété de nos modes de vie et de notre organisation en société au cœur des débats, au cœur de la transformation des systèmes énergétiques.

Or, pour l’instant, le concept est un impensé politique, il n’est présent dans aucun des scénarios 2050 de la Commission européenne. Il est même difficile à traduire. Une des meilleures tentatives d’explication, je l’ai trouvée dans une série de reportages sur ce thème dans la revue française Reporterre. « La sobriété est un rééquilibrage ». Payer moins pour les besoins réels et plus pour le superflu.

Il reste une question en suspens : les concombres à Noël relèvent-ils du besoin ou du superflu ?