Des prix de l’énergie record, des approvisionnements en gaz rendus incertains en raison de la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine, une sécheresse dramatique qui limite le fonctionnement des centrales thermiques et des équipements hydroélectriques, sans compter les défaillances de nombreuses centrales nucléaires… toutes les conditions étaient réunies pour qu’une tempête, qui couvait déjà depuis plusieurs mois, déferle cet été sur l’Europe, la frappant de plein fouet.
Energy Cities propose de prendre du recul sur l’actualité de ces derniers mois afin de mieux comprendre l’impact des décisions politiques sur la transition locale et ce qui nous attend dans les prochains mois.
Le discours sur l’Etat de l’Union, le 14 septembre 2022, de la présidente de la Commission européenne Ursula Von Der Leyen, était bien sûr très axé sur le climat et l’énergie. Elle a notamment appelé à convoquer une Convention européenne pour consacrer la solidarité entre les générations dans les traités européens. Pour faire face à l’urgence, de nouveaux règlements ont été préparés : plafonnement des recettes des entreprises qui produisent à faible coût de l’électricité, mesures visant à réduire la consommation d’énergie aux heures de pointe et modification (une fois encore) de l’encadrement temporaire des mesures d’aide d’État pour soutenir les entreprises du secteur de l’énergie confrontées à des problèmes de liquidités.
Plus important encore, la présidente Von Der Leyen a également promis « un changement de paradigme, un saut dans l’avenir » sur le marché européen de l’énergie. La Commission travaillera à une « réforme complète et en profondeur du marché de l’électricité » incluant une réflexion sur l’influence dominante du gaz sur le prix de l’électricité, en réponse aux demandes des Etats membres.
Energy Cities est depuis longtemps en faveur d’une réforme du marché européen de l’énergie et estime que les responsables européen·nes devraient prendre le taureau par les cornes et proposer une restructuration en profondeur du marché. Dans une lettre ouverte adressée la semaine dernière au Premier ministre tchèque dans le cadre de la présidence tournante de l’Union européenne, les maires qui composent le conseil d’administration d’Energy Cities ont décrit « la politique énergétique européenne dont nous avons besoin de toute urgence ». Iels exhortent également le Conseil de l’Union à placer la sobriété énergétique et la production d’énergie locale au cœur de sa stratégie afin de garantir la sécurité énergétique à long terme des citoyen·nes européen·nes tout en renforçant le principe fondamental de cohésion sociale de l’UE.
Cette lettre ouverte donne également des indications sur le type de « big bang politique » que les responsables européen·es devraient entreprendre.
En attendant les prochaines décisions européennes, chaque État membre prend des mesures pour se préparer à l’hiver. Tous sont confrontés à des hausses de prix impressionnantes, et certains craignent également des ruptures d’approvisionnement. Les mesures vont du plafonnement des prix de l’énergie à l’établissement de garanties sociales, en passant par des appels à la réduction de la consommation des industries et des particuliers. Or les économies et les populations ne sont pas toutes exposées à la crise énergétique de la même manière.
Dans ce contexte, on observe une forte renationalisation des politiques énergétiques. Le pilier européen de la cohésion sociale pourrait être mis à mal par cette crise, qui creuse un fossé toujours plus grand entre les pays dépendants des énergies fossiles, et donc durement touchés par la crise, et ceux qui en sont protégés par des mécanismes sociaux et/ou qui ont investi dans le développement des énergies renouvelables locales. Le principe « Ne pas nuire à la cohésion » mis en avant par la Commissaire Ferreira en début d’année doit, plus que jamais, être un critère à prendre en compte dans toutes les politiques, et notamment en matière d’énergie.
La « tempête énergétique » que connaît l’Europe se fera sentir bien au-delà de l’hiver qui s’annonce. La réforme des principales directives en matière d’énergie et de climat dans le cadre du paquet « Ajustement à l’objectif 55 », qui vise à réduire nos émissions de carbone de 55 % d’ici à 2030, pourrait jouer un rôle essentiel pour nous aider à sortir de cette impasse (ou du gaz en l’occurrence). Or la plupart de ces textes sont actuellement en cours de négociation.
La directive sur les énergies renouvelables et la directive sur l’efficacité énergétique, qui contiennent des mesures importantes pour les collectivités locales concernant la production d’énergies renouvelables ou encore la planification locale en matière de chaleur et de refroidissement, entreront bientôt dans une phase de discussion en trilogue entre le Parlement européen, le Conseil de l’Union et la Commission européenne et devraient être approuvées au cours du premier semestre 2023. La directive sur la performance énergétique des bâtiments, qui entend imposer une obligation de rénovation des bâtiments publics et privés, soutenir le système de guichets uniques et modifier la classification énergétique des bâtiments, est toujours en discussion au Conseil et au Parlement. Les deux institutions devraient adopter leurs positions respectives d’ici la fin octobre et entamer les discussions en trilogue dans les mois suivants.
Bien que nous n’en entendions plus parler en raison de la crise actuelle des prix de l’énergie qui a rebattu toutes les cartes, la proposition d’un nouveau système d’échange de quotas d’émissions appelé « ETS2 » et qui entend étendre la tarification carbone au transport routier et aux bâtiments, ainsi que le Fonds social pour le climat qui y est associé, font actuellement l’objet de négociations en trilogue.
Par ailleurs, le plan REPowerEU proposé par la Commission en mai modifiera les directives susmentionnées, en augmentant les objectifs à atteindre en matière d’énergies renouvelables et d’efficacité énergétique à l’échelle de l’UE et en fixant des objectifs sectoriels (photovoltaïque, hydrogène, biométhane, pompes à chaleur).
Oui, car la gestion de crise et la préparation au prochain hiver par les villes sont mises à l’honneur au travers de différentes initiatives, notamment le Cities Energy Saving Sprint de la Convention des Maires-Europe, ainsi que dans la Fiche d’information rédigée par la Commission européenne dans le cadre de sa communication « Saving Energy for a Safe Winter ». Energy Cities est sollicitée et écoutée par les responsables européens sur des questions clés telles que le manque de personnel dans les collectivités locales pour mener à bien la transition énergétique (voir la campagne #LocalStaff4Climate), la nécessité de mettre en place des réformes, des guichets uniques ou encore la planification intégrée.
Mais les villes restent insuffisamment promues et soutenues. La mission principale des maires est en effet de protéger leurs administré·es et d’assurer la prospérité de leur circonscription. Dans cette situation de crise, iels se retrouvent de nouveau en première ligne et doivent trouver des solutions pour payer leurs propres factures d’énergie, car iels ne bénéficient pas toujours des boucliers tarifaires mis en place, et pour protéger l’économie locale et leurs concitoyen·es. L’impact des prix de l’énergie sur chaque ménage, chaque commerce, chaque association est largement ignoré et les maires font état d’un mur de mécontentement et de peur.
Les villes ont besoin de plus de soutien financier et technique, mais aussi de reconnaissance en matière de gouvernance énergétique, pour pouvoir affronter l’hiver et les saisons à venir.
Dans son discours sur l’Etat de l’Union, la présidente Von Der Leyen a également souligné que 700 milliards d’euros du dispositif Next Generation EU devraient venir irriguer notre économie en ajoutant : « Faisons parvenir les fonds sur le terrain ». Les membres d’Energy Cities, qui sont eux « sur le terrain », sont plus que désireux de voir arriver cet argent pour financer leur transformation locale.
Alors, vers qui nous tourner pour tirer des enseignements ? A titre d’exemple, l‘Espagne consacre déjà une part importante de son Fonds pour la reprise et la résilience à l’action locale via divers programmes consacrés à la rénovation des bâtiments, au développement urbain durable, à la mobilité, aux communautés énergétiques ou encore aux énergies renouvelables. Une piste à suivre.