« L’ Europe est pauvre, la transition est très chère » : ah oui vraiment ?

Edito politique


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Date de publication

16 mai 2024

La bataille pour le budget européen post 2027 a commencé. Les pions s’avancent sur l’échiquier, et la campagne pour les élections européennes offre un cadre parfait pour les positions un peu caricaturales entre le Nord qui gère de façon « frugale » les deniers publics et le Sud, toujours (l’Est aussi) qui dépense sans compter. La petite rengaine de l’austérité est revenue, quitte à tordre le cou à la réalité, qui décidément, est plus nuancée. La péninsule ibérique n’a pas explosé les déficits budgétaires pour faire face aux prix exorbitants de l’énergie ; elle a régulé ceux-ci et bénéficié d’une décennie de politiques énergétiques visant à rendre le Portugal et l’Espagne moins dépendant des marchés mondiaux, à augmenter leur capacité de production renouvelables.

Le club des « frugaux » ; n’a de frugal que le nom, ce ne sont pas les apôtres de la sobriété, loin de là…au contraire. Les nouveaux objectifs se déclinent en toujours plus de production (d’armes, de voitures, d’aliments) ; le moteur de la croissance de l’économie se déplace dans de nouveaux secteurs, mais reste le cœur du projet.

Pourtant, et pour la première fois, de grands économistes européens ont clairement mis en doute cet objectif et sont convaincus qu’il ne peut être fait de prévisions budgétaires et de politiques publiques dans le futur, sans se poser la question de celui-ci. Et oui on peut faire une dette quand on a un futur, mais si celui-ci n’est pas garanti, que se passera-t-il ? Ainsi, les économistes du Think Tank Bruegel, ont clairement proposé une autre approche pour le futur budget européen. La transition vers la neutralité climatique, n’est pas un objectif parmi d’autres, il est la condition de la survie à long-terme et cela justifie des règles différentes aujourd’hui et pour les années qui viennent.

Quand est ce que la transition devient trop chère ? Toutes les trajectoires n’ont pas le même coût, et quand seront-elles discutées ?

« On pourrait repenser la dépense publique »

Par exemple, pour cette période budgétaire, le budget de la politique agricole pour 2021-2027 représente 380 milliards d’Euros (un tiers du budget européen plus ou moins). A quoi cela correspondrait pour les 6 millions d’exploitations agricoles que compte l’Union européenne (ce chiffre est en forte décroissance, il était de 7 millions en début de période, et les prévisions pour la fin 2027 sont sujettes à caution) ? Et bien cela pourrait correspondre à une aide de 750 € par mois et par ferme pour toute la période. Auxquels s’ajouteraient les revenus de la production. Ce serait un choix.

Autre exemple, les 85 milliards d’euros qui seront nécessaires (à minima) pour la construction de nouvelles centrales nucléaires en France. A quoi cela correspond [i]? toujours difficile de faire des moyennes, mais a priori avec un tel budget on peut rénover 1.700.000 logements ; ce qui veut dire 18% du stock des résidences principales. De nouveau c’est un choix.

Mais quand est-ce que nous aurons le débat public européen sur les choix qui sont proposés ? et qui aura le dernier mot ?

Dans les derniers votes du Parlement européen, une nouvelle règle a été adopté liée au Pacte de Stabilité. Celui-ci définit le niveau acceptable de déficit et de dette de chaque État. Cela englobe tous les niveaux de gouvernements et depuis longtemps, ces règles sont un obstacle au financement des stratégies de neutralité climatique des villes. La nouvelle règle qui vient s’ajouter à celles existantes, stipule que les budgets qui viennent en cofinancement de projets financés par le budget européen n’entreront plus dans le décompte des déficits et dettes. Ce qui donne beaucoup plus de poids à la Commission européenne pour définir les priorités d’investissement. Mais où seront-elles discutées ? avec qui ? et comment s’assurer que tous les gouvernements locaux aient accès à cette nouvelle « facilité » quand si peu de collectivités s’inscrivent dans des programmes européens ?

Nous pouvons entrevoir de nouvelles pistes pour repenser la dépense publique. Au-delà des élections, les débats changent et sont clairement plus ouverts à considérer la dépense publique différemment. Pourtant, il semble que cela ne soit pas encore un débat transparent et inclusif, en particulier des premiers concernés, ceux qui vont mettre en œuvre les projets de transformation de notre économie, de notre société ; les collectivités territoriales.


[i] Par exemple la France compte 30 millions de résidences principales, la rénovation thermique coute en moyenne 50.000 € (fourchette haute) 85 Milliards d’€ (en comptant les dépassements budgétaires actuels de chaque nouveau projet) représente donc la rénovation de 1.700.000 logements. Source : Rapport Greenprace France oct 2023