Droits au logement : les défis et solutions de Vérone

Vérone appelle à une législation permettant aux villes de réaliser des interventions ciblées face à la crise du logement.


Tourisme, manque de fonds et de régulation, forte demande de logements. Voici le cocktail qui alimente la crise du logement à Vérone, l’une des destinations les plus populaires d’Italie.

Vérone est un centre industriel, commercial et universitaire au nord du pays. Par conséquent, la demande de logements est en forte croissance. Les personnes avec un parcours migratoire employées dans les usines locales et les étudiant.e.s composent la population la plus en besoin de logements abordables. Cependant, l’offre de logements publics et sociaux est loin de répondre à la demande : la ville a besoin de 5 000 appartements à moyen et long terme et d’au moins 100 millions d’euros de financement, tandis que 17 000 unités de logement privées sont inoccupées et plus de 500 unités publiques/sociales nécessitent des rénovations.

Nous avons interviewé Luisa Ceni, conseillère aux politiques sociales et du logement, au secteur tertiaire et à la zone territoriale sociale de la municipalité de Vérone, pour comprendre comment la municipalité aborde ce problème.

Il y a-t-il une crise du logement à Vérone ?

Oui, une crise sévère. Le marché immobilier est en plein essor. Les prix sont extrêmement élevés, même dans les zones périphériques. Vérone est l’une des villes où le prix au mètre carré ne baisse pas. En tout cas, le portefeuille immobilier local est insuffisant pour répondre à la demande.

Les entrepreneur.euse.s demandent de l’aide pour trouver des appartements pour les personnes avec un parcours migratoire en cours de recrutement. Les étudiant.e.s venant d’autres villes ont besoin d’un logement abordable pour s’installer ici et étudier. Les jeunes ne peuvent pas se permettre d’acheter un appartement.

Il faut bien sûr penser aussi aux personnes à faibles revenus et vulnérables, notamment aux femmes avec enfants victimes de violences et à celles qui ont trois emplois mais qui n’arrivent toujours pas à joindre les deux bouts. De plus, il faut prendre en compte le contexte social. Même si les travailleurs migrants peuvent se permettre de payer le loyer, ils se font souvent refuser l’accès au logement. Le racisme est profondément ancré ici.

Aujourd’hui, les propriétaires privés préfèrent laisser leurs biens vacants ou les louer à des touristes pour quelques jours : moins de risques, plus de profits.

Vérone est la ville de Roméo et Juliette. Entre janvier et août 2024, la ville a enregistré une augmentation de 5,9 % du nombre de touristes par rapport à la période pré-Covid. Comment le tourisme impacte-t-il la crise du logement ?


Le tourisme est à la fois une ressource et un défi. Le centre historique est rempli d’hébergements touristiques, à l’instar de Venise. Les propriétaires préfèrent les locations de courte durée pour diverses raisons : il n’y a pas de régulations spécifiques à respecter, les profits sont plus élevés et la fiscalité est plus avantageuse que pour les locations à long terme, et enfin, les touristes ne restent que quelques jours et gardent les lieux propres. La location à long terme peut entraîner des problèmes. Combien de cas d’expulsion pour impayés observe-t-on ? À quelle fréquence un propriétaire préfère-t-il laisser un appartement vacant ?

D’autre part, les touristes préfèrent économiser l’argent en louant des appartements, et stimulent l’économie locale et créent de nouveaux emplois.  

C’est comme le Far West : nous avons besoin de règles plus spécifiques qui protègent tout le monde. La dernière loi nationale sur les locations de courte durée ne résout rien ; elle ajoute simplement des coûts dans une tentative de protéger les hôteliers. Nous avons besoin d’une législation qui permette aux villes de faire des interventions ciblées, car toutes les villes n’ont pas les mêmes besoins.


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Droits au logement : les défis et solutions de Vérone_by Fabio Tura – Unsplash

Quelle est la situation du logement public et social ?


La municipalité possède un portefeuille immobilier important de 4 063 unités. La plupart de ces propriétés appartenaient à un résident fortuné qui a laissé à la ville un vaste portefeuille immobilier, sous condition qu’il soit utilisé pour aider les citoyens les plus vulnérables. Ces biens comprennent également des terrains dont les revenus doivent être réinvestis dans des programmes sociaux.

Étant donné que ces propriétés datent du début des années 1900, elles sont en mauvais état. Vérone est une ville historique avec de nombreux bâtiments anciens, et la plupart des logements publics ont été construits dans les années 60 et 70. En 2024, nous avons alloué 1,5 million d’euros supplémentaires à l’agence municipale AGEC pour des rénovations. Ces fonds sont notamment investis dans la réhabilitation d’appartements actuellement vacants. Il y a 500 appartements nécessitant une rénovation avant qu’ils puissent être réaffectés, mais avec les fonds disponibles, nous pouvons en rénover qu’environ 200 par an. Même si nous disposions des fonds nécessaires pour rénover les 500 appartements, cela ne suffirait pas à répondre à la demande. Il nous faut impliquer le secteur privé, mais comment ? La question n’est pas seulement celle de la rénovation, mais aussi de la gestion des propriétés ensuite.

Comment abordez-vous l’urgence du logement ?


Nous développons un projet de régénération urbaine important appelé Forte Santa Caterina, financé à hauteur de 15 millions d’euros par le fonds de relance et résilience européen auxquels s’ajoutent 4 millions d’euros de la municipalité. Nous construirons 20 logements sociaux, démolirons les anciens bâtiments militaires de stockage et créerons un parc. Ce projet est durable sous tous ses aspects, y compris en matière d’efficacité énergétique. Les logements seront orientés au sud-ouest pour un gain solaire optimal. Nous prévoyons d’utiliser des matériaux durables, de mettre en place un système de recyclage des eaux de pluie et de réutiliser des matériaux issus des démolitions. Nous visons à le rendre aussi inclusif que possible. Nous avons organisé des réunions de co-programmation avec le secteur tertiaire pour nous assurer que le projet bénéficie aux groupes les plus vulnérables, y compris les personnes handicapées, les pères divorcés, les personnes âgées et LGBTQ.

Avec la Cassa Depositi e Prestiti (l’une des principales institutions financières publiques, ndlr), nous explorons des solutions pour construire de nouveaux bâtiments et récupérer des grands bâtiments publics vides. Cela nécessite des partenariats public-privé et des investisseurs.

La municipalité met-elle en place des mesures de sobriété, notamment foncière ?


D’un point de vue durable, je considère que Vérone est un modèle. Nous visons à réduire les zones urbanisées et à atteindre un objectif de zéro artificialisation nette. Nous préférons réutiliser des structures existantes plutôt que de construire de nouveaux bâtiments. Par exemple, nous avons converti une ancienne caserne militaire en campus universitaire et nous prévoyons de transformer une zone industrielle abandonnée en un centre de gestion des déchets. De plus, la communication entre départements est essentielle : chaque fois que nous pensons à un nouveau projet, nous consultons le Département de l’Environnement sur les questions de durabilité.

Que demandez-vous au nouveau commissaire européen pour l’Énergie et le Logement, M. Jørgensen ?


Nous avons besoin que le Commissaire fasse pression sur les gouvernements nationaux. L’année dernière, avec d’autres villes italiennes – comme Bologne, Florence, Milan, Naples, Rome et Turin – nous avons envoyé une lettre au gouvernement italien demandant en vain une rencontre pour discuter de nos propositions pour résoudre la crise du logement. Par exemple, nous demandons le transfert gratuit de propriétés inutilisées aux municipalités, le refinancement des programmes de soutien à la location pour les personnes en difficulté, et la régulation des plateformes touristiques. Nous souhaiterions partager cette lettre avec le Commissaire et entamer un dialogue constructif.

Bien sûr, nous espérons également des financements européens. Le gouvernement a réduit les financements essentiels pour les services sociaux, y compris le soutien aux familles dans l’incapacité de payer leur loyer en raison de circonstances indépendantes de leur volonté, ainsi que le Fonds National de Location.

Cela dit, nous sommes très heureux que le logement soit désormais reconnu comme un droit fondamental.


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