Utrecht est membre d’Energy Cities depuis 1998
Située au cœur des Pays-Bas, Utrecht est une ville universitaire de 330 000 habitants, avec près de 70 000 étudiants. Sa population étant destinée à augmenter d’ici 2020, la ville d’Utrecht attache beaucoup d’importance à la qualité de vie sur son territoire. En 2030, Utrecht sera une ville « propre, durable, verte et sûre » 1 , une ville où il fait bon vivre grâce à l’attention portée aux espaces verts, à la qualité de l’air, au développement des modes de transport doux, à la santé. La municipalité a également pour ambition de devenir une démocratie plus participative.
Aux Pays-Bas, à peine 5% de la population est membre d’un parti politique. La plupart des citoyens prêtent ainsi peu d’attention aux actions de la municipalité d’Utrecht entre les élections. Cela concerne tout particulièrement les politiques énergétiques. Si les plans climat énergie 2009 et 2011 avaient fait l’objet de consultations, il avait été observé que les personnes qui participaient étaient toujours les mêmes et qu’au final, ces plans étaient peu connus de la majorité des citoyens. Or, au sein de la municipalité d’Utrecht, de nombreuses personnes étaient convaincues que l’énergie était un sujet trop important pour occulter les priorités des citoyens.
Après avoir lu « Vers les élections » de David van Reybrouck, l’élue en charge du développement durable Lot van Hooijdonk a suggéré de faire élaborer le plan énergie climat 2016 par les citoyens selon les principes de la démocratie délibérative.
La démocratie délibérative La démocratie délibérative consiste à parvenir à une décision collective à partir du débat d’arguments rationnels et contradictoires, et en l’absence de déséquilibres dans le pouvoir de négociation. Bernard Manin analyse les différents éléments à prendre en compte afin de favoriser cette délibération. Loïc Blondiaux et Yves Sintomer s’intéressent à l’émergence d’un impératif délibératif comme « nouvel esprit de l’action publique ». Blondiaux Loïc, Sintomer Yves. « L’impératif délibératif », Politix. Vol. 15, N°57. Premier trimestre 2002. pp. 17-35. Doi : 10.3406/polix.2002.1205 URL : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/p olix_0295-2319_2002_num_15_57_1205 Bernard Manin, « Comment promouvoir la délibération démocratique ? Priorité du débat contradictoire sur la discussion », Raisons politiques 2011/2 (n°42), p. 83- 113. Doi : 10.3917/rai.042.0083. URL : http://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2011-2-p83.htm |
Cette initiative répondait à deux objectifs : pallier le déficit démocratique dans le domaine des politiques énergétiques et donner les moyens à la ville de devenir neutre en carbone au plus vite grâce à une collaboration intense avec toutes les parties prenantes de son territoire. Grâce à la mobilisation de ses habitants, la ville d’Utrecht espère lancer un mouvement de fond qui ferait d’elle une ville pionnière, un vrai « cœur énergétique »2 , où l’énergie serait à la fois l’affaire de l’autorité locale et de toutes les parties prenantes concernées sur le territoire.
Trois journées de débats ont ainsi été organisées début 2015 afin d’élaborer le plan énergie climat 2016 de la ville. Les discussions se sont organisées autour de la question centrale suivante : quelles mesures la ville d’Utrecht peut-elle prendre afin de s’approvisionner au plus vite en énergie sans émettre de CO2 ?
Un élément clé de l’organisation a été la représentativité du panel. La municipalité a tout d’abord sélectionné 10 000 personnes de manière aléatoire, auxquelles elle a envoyé des invitations à participer à l’élaboration du nouveau plan énergie climat moyennant une compensation (il y avait le choix entre un bon d’achat de 300 euros à utiliser librement ou un bon de 600 euros utilisable pour des mesures énergétiques ou des transports électriques). 900 personnes ont répondu favorablement. La municipalité en a sélectionné 165, avec pour seuls critères une distribution égale entre quartiers et genres. Contrairement aux expériences précédentes, la compensation offerte a permis d’obtenir une distribution égale entre les différents quartiers.
Huit personnes de la municipalité ont préparé les journées de discussions. En tout, dix personnes étaient mobilisées en amont et lors de ces trois journées : un chercheur de la municipalité qui a sélectionné les participants, un chargé de communication, un chargé de projet responsable de la création du processus (manager de transition), un expert en énergie (information des participants et aide aux consultants), un chargé de projet du service énergie d’Utrecht, un responsable du planning, un responsable de la logistique (parkings pour vélos, café, catering, etc.) et un coordinateur de projet. Un expert en démocratie délibérative a présidé les trois journées de discussion.
Afin de fournir la meilleure information possible aux citoyens participant aux journées de discussion, la municipalité a engagé des consultants experts en énergie. Ses missions étaient essentielles : production de fiches informatives distribuées aux participants avant la première rencontre, préparation des trois journées de discussion, réalisation d’un scénario énergétique, présence d’experts relatifs à certains thèmes, réalisation d’un compte-rendu de l’atmosphère lors des discussions et consignation des contributions des participants dans une ébauche de plan énergie. Ensemble, l’équipe en charge du projet s’est mise d’accord sur deux principes :
La priorité absolue de la municipalité était que les citoyens élaborent le plan énergie climat euxmêmes. Elle a donc attaché beaucoup d’importance à la mise en place et au respect de la procédure (composition aléatoire des groupes, temps imparti, etc.), et également au fait de ne pas influencer les citoyens.
Deuxième principe fondamental de l’organisation : faire le choix d’accepter le niveau d’expertise dont disposaient les citoyens. La municipalité voulait surtout éviter que le projet ne soit perçu comme une tentative « d’éduquer les citoyens » ou de les influencer. L’accès à l’information était donc un élément clé de l’organisation de ces journées. Cela signifiait donner la possibilité aux citoyens de s’informer sur tous les aspects liés à l’énergie, sans restriction. À titre informatif, une vingtaine de fiches techniques ont donc été distribuées aux participants avant qu’ils ne se rencontrent. De plus, quelques conférences ont été organisées durant les trois journées du processus et des experts ont été présents et disponibles pendant les trois journées de discussion entières afin de répondre aux questions.
Après un long travail de préparation, les 165 participants sélectionnés se sont réunis lors de trois samedis au mois de mars et d’avril 2015.
Durant cette première journée assez libre, les participants ont pu discuter avec des experts et entre eux afin d’imaginer le futur de leur ville. Pour les inciter à rêver, plusieurs questions leur ont été posées : à quoi ressemblera Utrecht en 2030 ? De quoi avons-nous besoin pour faire de ces rêves une réalité (consommer moins d’énergie, générer une énergie plus durable…) ? Quelle stratégie devons-nous suivre ?
Les réponses ont été aussi variées qu’innovantes. Certaines étaient même très inattendues : un certain professeur a par exemple proposé de la fusion nucléaire ! Les résultats de la première journée de discussion ont été collectés par les consultants et répartis en « paquets » de mesures. Après avoir supprimé les propositions extrêmes, les consultants ont calculé les impacts en termes d’émissions de CO2 et de production d’énergies renouvelables, les coûts et les rendements potentiels des mesures proposées. Ces évaluations ont été présentées par les consultants lors de la deuxième journée.
Lors de cette journée, la municipalité a imposé des contraintes aux participants : budget, rendements, moyens techniques, impacts, etc. Le but était que les citoyens essaient de construire des scénarii et en voient les conséquences en termes économiques, d’emplois ou encore de confort, notamment grâce à un simulateur élaboré pour l’occasion. Deux experts indépendants ont aussi présenté leur vision d’un Utrecht neutre climatiquement. Vu la difficulté d’élaborer un seul scénario à 165, les citoyens ont finalement classé les mesures envisagées en trois catégories : les mesures à supprimer, celles approuvées par la majorité et celles qui ne peuvent être appliquées qu’à certaines conditions4 . Finalement, cela a donné lieu à une liste de 10 priorités pour chaque secteur : logements, travail, transport.
Sur la base des deux premières journées de discussion, une ébauche de plan énergie a été élaborée par les experts, consultants et facilitateurs. Encore une fois, seules les propositions les plus largement acceptées ont été gardées, dans l’optique de trouver le plus petit dénominateur commun. Cette ébauche, transmise à tous les participants, était structurée clairement, avec les contributions des participants, les réponses des experts à côté et les éléments à compléter sur des Post-It.
Après avoir pris connaissance de l’ébauche de plan énergie proposée et écouté les opinions de représentants d’entreprises, de bailleurs sociaux et de compagnies énergétiques sur les priorités choisies précédemment, les citoyens ont dû construire un plan énergie climat provisoire, présenté en fin de journée à la conseillère municipale en charge du développement durable. À cette occasion, la municipalité a pu apprécier la capacité des citoyens à discuter avec les diverses parties prenantes et à raisonner de manière intégrée.
Les citoyens ont été très clairs sur leur volonté de suivre la suite du processus. Afin d’en garantir la transparence, la municipalité a mis en place plusieurs niveaux de suivi. Une fois que le plan énergie aura été traduit en plan d’action par l’assemblée municipale, la municipalité prévoit d’inviter tous les participants en avril 2016 pour qu’ils donnent leur avis sur la mise en œuvre concrète de leurs priorités.
Des informations sont également envoyées régulièrement par e-mail pour rendre compte de l’avancement de la traduction du plan énergie. Des invitations aux discussions de l’assemblée municipale ont aussi été proposées et les services municipaux sont restés disponibles afin de donner des conseils.