Par Alessandra Filippi, Conseillère pour l’environnement, l’agriculture et la mobilité durable de la Ville italienne de Modène.
Le mois dernier, notre ville membre de Modène a fait l’objet d’un article dans le magazine italien « Forum PA » pour souligner ses efforts dans le domaine de la décarbonisation et de la transition vers la durabilité. La publication mettait en évidence le potentiel des communautés énergétiques, mais aussi l’importance de l’adhésion à Energy Cities et à la Convention des Maires – Europe pour atteindre ses objectifs. Nous avons traduit une partie de cet article, que vous pouvez lire dans son intégralité en italien ici.
D’abord le G20 à Rome, puis la COP26 à Glasgow, ont clairement mis en évidence l’état de santé de notre planète et l’importance d’agir avant tout sans délai, car nous atteignons désormais le point de non-retour. Le climat est une urgence, au même titre que la pandémie de Covid-19, et nous devons donc intervenir rapidement, mettre en œuvre une transition énergétique efficace et développer une structure économique et productive qui respecte la durabilité environnementale. La municipalité de Modène entend être l’un des protagonistes de cette transition énergétique, en apportant sa propre contribution concrète à la lutte contre le changement climatique. Modène fait partie du réseau Energy Cities depuis 1998. Cette communauté de ville s’engage à assurer l’avenir de leur économie, en adhérant pleinement aux intentions de l’Accord de Paris (notamment autour de la COP26) et aux Objectifs de développement durable. D’un autre côté, avant la pandémie de Covid-19, des millions de personnes étaient dans les rues pour réclamer la justice climatique et, comme le montrent de récents reportages, elles sont toujours actives, dans les espaces réels et virtuels. Les communautés énergétiques pourraient leur donner l’occasion de s’impliquer elles-mêmes et d’augmenter la production d’énergie renouvelable dans leur région.. Les crises sociale, sanitaire et climatique étant interdépendantes, elles nécessitent des solutions communes. À cet égard, les plans nationaux de relance et de résilience représentent une excellente occasion pour les gouvernements de soutenir les communautés énergétiques en leur apportant le financement nécessaire.
Présentation des communautés énergétiques
Les communautés énergétiques reposent sur un système collaboratif réunissant des organismes publics locaux, des sociétés, des entreprises et des citoyens choisissant de s’équiper d’infrastructures de production et d’autoconsommation d’énergies renouvelables selon un modèle partagé.
Ces communautés ne sont pas seulement un outil idéal pour apporter une contribution tangible à la lutte contre le changement climatique, mais aussi pour combattre la précarité énergétique, qui touche plus de 2 millions de familles italiennes. Elles apportent une valeur ajoutée sous la forme d’une implication de la communauté qui connaît tous les nouveaux membres, et accélère ainsi la sensibilisation et la formation nécessaires sur des questions aussi fondamentales.
Les communautés énergétiques apportent une contribution importante à la lutte contre le changement climatique. C’est pour cette raison que les personnes et les communautés doivent être reconnues au niveau international comme fondamentales pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. Et 2021 a certainement été l’année des communautés énergétiques, grâce aussi au fait que, suite à la législation européenne favorable adoptée fin 2018, la plupart des pays européens ont transposé la nouvelle législation au niveau national.
La sensibilisation et l’implication des utilisateurs
Les communautés énergétiques sont en mesure de mobiliser le plus grand nombre possible d’acteurs sociaux pour relever le défi de la décarbonisation. La proximité des centrales avec les consommateurs se traduira dans de nombreux cas par des installations sur les toits ou à proximité des bâtiments, déplaçant la problématique sur la question de l’engagement actif des citoyens.
L’implication des utilisateurs individuels et les bénéfices économiques de ces systèmes conduiront les membres des communautés à des comportements plus vertueux en matière d’efficacité énergétique et, plus généralement, à une meilleure connaissance des dynamiques qui caractérisent la production, la consommation et la vente d’électricité.
Ces éléments peuvent conduire à la diffusion de solutions technologiques innovantes : un modèle qui encourage la production d’énergie et son absorption instantanée par les utilisateurs situés à proximité peut servir de moteur tant pour le stockage et les solutions technologiques que pour les comportements visant la réponse à la demande, c’est-à-dire les actions du consommateur qui modifient son profil de charge en réponse aux besoins du réseau.
En accordant plus de responsabilités aux clients finaux, ceux-ci se sentiront obligés d’harmoniser leurs profils de charge et de production et de procéder à un premier équilibrage de leur propre système de faible dimension. Les communautés énergétiques pourraient donc également réduire les coûts de distribution.
En attendant la transposition complète de la directive
Actuellement, il existe encore des obstacles à la transposition des directives au niveau national et une certaine sous-estimation du potentiel de la gouvernance participative. Il faut toutefois noter que la transposition partielle de certaines indications de la directive européenne sur les énergies renouvelables (RED II) qui définissent le cadre juridique des communautés énergétiques est très récente La conversion en loi du décret dit Milleproroghe date de mars 2020 et établit, à titre expérimental en attendant la transposition complète de la directive, la possibilité de créer des communautés qui échangent de l’énergie à des fins d’autoconsommation collective instantanée et différée.
Le rapport Legambiente de mai 2021 intitulé « Municipalités renouvelables » a recensé au moins 30 organisations locales de communautés énergétiques utilisant des sources renouvelables et pratiquant l’autoconsommation collective. Il s’agit d’un mouvement plus rapide que les installations de grandes centrales qui montre une volonté claire d’une approche ascendante.
L’engagement de Modène et le rôle de l’AESS (Agence pour l’énergie et le développement durable)
Le processus de décarbonisation a connu une forte accélération ces dernières années et les enjeux de durabilité environnementale, économique et sociale sont devenus centraux non seulement dans les politiques européennes, mais aussi dans les politiques des autorités locales. La situation géographique de Modène est critique pour la qualité de l’air et la transition vers l’énergie verte s’avère urgente pour améliorer le bien-être de la population.
La majorité des municipalités membres de l’AESS ont rejoint le réseau de la Convention des Maires et ont rédigé ou sont en train de rédiger des plans d’action en faveur de l’énergie durable (et du climat) (PAEDC). La ville de Modène, par exemple, a approuvé en février 2021 un plan visant à réduire les émissions de CO2 d’au moins 55 % d’ici à 2030, ce qui est déjà conforme aux objectifs de l’UE.
L’initiative de la Convention des Maires a eu un impact positif sur le territoire national, avec l’implication d’un grand nombre de villes et de parties prenantes et une plus grande sensibilisation à la question climatique. Néanmoins, les municipalités se sont heurtées à des obstacles locaux, surtout dans les petites et moyennes villes, qui ont empêché une participation adéquate à l’initiative. Il convient donc de soutenir davantage ces municipalités dans la mise en œuvre de leurs plans d’action, en mettant en place de nouveaux outils et/ou en rendant les outils existants plus efficaces.
Malgré les difficultés observées, un nombre croissant de villes s’engagent de manière proactive avec leurs parties prenantes locales et établissent avec succès des communautés énergétiques. Cependant, le processus est long et compliqué et devrait être facilité par de meilleures réglementations nationales.
Les projets spécifiques des communautés énergétiques
Grâce au cofinancement du fonds européen EIT Climate-KIC, le projet GECO (Green Energy Community) a été lancé en septembre 2019 par l’AESS, l’ENEA et l’Université de Bologne, avec la participation de citoyens, d’associations locales et d’entreprises de la région. D’ici 2023, il conduira à la création de la première communauté énergétique virtuelle d’Émilie-Romagne, à Bologne, dans les districts de Pilastro et Roveri, en utilisant le réseau existant dans des zones où la consommation électrique est actuellement de 430 MWh par an.
Au centre de la communauté, les citoyens et les entreprises joueront un rôle actif dans le processus de création, de production, de distribution et de consommation d’énergie. La zone de développement comprend une zone résidentielle de 7 500 habitants, une zone commerciale de 200 000 m² accueillant un parc agroalimentaire, deux centres commerciaux et une zone industrielle de plus d’un million de mètres carrés, où se trouvent des centrales solaires photovoltaïques pour un total de 16 MW, et des centrales solaires pour un total de 2 MW dans la zone industrielle de Roveri.
Grâce au projet GECO, 8 nouvelles centrales d’énergie renouvelable associées à des systèmes de stockage seront construites, transformant ainsi les entreprises et les citoyens en prosommateurs. Cela se traduira par une centrale de 200 kW pour le centre agro-industriel CAAB/FICO, une installation de biogaz de 20 kWe et 30 kWt pour l’élimination des déchets organiques, une installation solaire photovoltaïque de 100 kW sur plusieurs immeubles résidentiels et 200 kW supplémentaires d’énergie solaire dans le centre commercial Pilastro et pour les immeubles d’habitation voisins. Installées sur les toits de l’Institut de recherche sur la mode, de ZR Experience et des entreprises voisines, deux centrales solaires de 200 kW chacune viendront compléter ces infrastructures énergétiques. L’ensemble représentera un total de 14 MW de nouvelle puissance générée par des installations photovoltaïques, qui d’ici 2023, produiront plus de 15,4 millions de kWh/an, avec une réduction de 120 MWh/an d’énergie, évitant l’émission de 58 000 tonnes de CO2/an dans l’atmosphère.
Le projet est en cours et prévoit le développement d’une plateforme d’analyse des flux énergétiques (production, stockage et consommation), utile pour garantir la flexibilité de l’énergie au sein des communautés. Cette plateforme sera soutenue par des technologies capables d’identifier la configuration optimale des appareils intelligents et de permettre ainsi aux membres de la communauté de contrôler leur propre consommation et leur contribution énergétique en son sein. Elle comprendra également un système de blockchain permettant d’enregistrer la consommation d’électricité de chacun.
Les communautés énergétiques : questions en suspens
La transposition partielle des directives européennes en matière d’autoproduction et d’échange d’énergie a permis de lancer de nombreuses initiatives, avec des résultats étonnants sachant que la loi a été approuvée il y a un peu plus d’un an et demi. Mais la transposition finale doit aussi être l’occasion de surmonter les questions encore non résolues ainsi que les problèmes critiques qui sont apparus. Ces points concernent la taille du périmètre des communautés énergétiques, la puissance des centrales, les problèmes liés aux stations secondaires, la définition des incitations et la gouvernance du mécanisme. À cela s’ajoutent les questions relatives aux entités exclues qui ne peuvent pas faire partie des communautés énergétiques, comme les ONG et les entités du secteur tertiaire.
La taille des communautés énergétiques
La taille des communautés énergétiques, basée sur un paramètre électrotechnique, c’est-à-dire la sous-station de moyenne et/ou basse tension, est souvent limitative par rapport au potentiel de participation qui se présente habituellement dans les expériences de projet, surtout pour les structures de plus de 150 kW.
Les mesures incitatives actuelles ne récompensent que l’énergie partagée par le biais d’un tarif, quelle que soit la taille des installations. L’un des points critiques relevés est lié aux configurations des petites installations, qui ne s’avèrent viables que grâce aux déductions fiscales et au superbonus. Pour assurer la pérennité de ces expériences de type ascendant, ces projets doivent également être économiquement viables.
La gouvernance du mécanisme
Parmi les questions délicates figure la gouvernance du mécanisme : remise en cause en Europe par un amendement qui prévoit de déduire directement de la facture des membres les avantages qui leur reviennent, elle crée une série de complexités potentielles dans la gestion de ces expériences et le risque d’invalider les modèles économiques développés actuellement. Par ailleurs, en termes de gouvernance, il est nécessaire non seulement de simplifier, comme c’est le cas pour de nombreux scénarios en cours de développement, mais aussi de réfléchir à des modèles pouvant être gérés de manière ascendante pour de petites configurations, sans risquer que des coûts de gestion complexes invalident les bénéfices et fassent perdre leur attractivité. Il faut également penser à un rôle actif des opérateurs dans ce sens, en appliquant la déduction directement dans la facture, mais sous une forme libre et non obligatoire.
Les ONG et les entités du secteur tertiaire, non prévues par la directive européenne, doivent par ailleurs avoir les mêmes droits de prosommateur que les citoyens, les entreprises et les autorités locales. Les gouvernements devraient intervenir à cet égard, en prévoyant leur participation à la transposition.
La neutralité climatique, un objectif inatteignable dans les délais proposés ?
Aujourd’hui, en Italie, plus de 1,1 million d’installations de sources d’énergie renouvelables satisfont 37,6 % de la consommation totale d’électricité et 19 % de la consommation énergétique totale, grâce à un ensemble de technologies visant à produire de l’énergie électrique et/ou thermique répartie dans toutes les municipalités. Compte tenu toutefois du rendement moyen des installations actuelles et de la réduction parallèle de la consommation grâce à une efficacité accrue, il faudra à l’Italie près de 70 ans pour atteindre les objectifs de l’UE.
Afin de tenir les engagements souscrits et de respecter les délais, une intervention rapide et concrète est nécessaire pour accélérer le processus. Dans ce sens, une contribution valable pourrait provenir des communautés énergétiques.