De l’Espagne aux Pays-Bas, de l’Italie à l’Irlande et au Portugal, les citoyen.ne.s descendent dans les rues pour faire entendre leur colère : les prix des logements sont beaucoup trop élevés.
Selon Eurostat, entre 2010 et 2023, les personnes les plus vulnérables consacrent plus de 40 % de leurs revenus au loyer dans des villes où l’inflation a érodé leur pouvoir d’achat (+36 %). Les prix des logements ont augmenté de 48 % dans l’UE, notamment en Estonie (+209 %), en Hongrie (+191 %) et en Lituanie (+154 %). De plus, les loyers ont augmenté de 22 % dans 24 pays de l’UE (par exemple : Estonie +211 %, Lituanie +169 %, Irlande +98 %).
Ce contexte explique probablement pourquoi la Présidente réélue de la Commission, Ursula von der Leyen, a nommé un commissaire à l’énergie et au logement, le socialiste danois Dan Jørgensen. Bien que le logement ne soit pas une compétence de l’UE, M. Jørgensen devrait aider les États membres à agir sur les facteurs structurels et à débloquer les investissements publics et privés en faveur d’un logement abordable et durable, comme l’indique sa lettre de mission.
Face à ce problème majeur, nous avons demandé à des collectivités locales de différents pays de l’UE, membres de notre réseau, de nous éclairer sur leur crise locale du logement afin de mieux défendre leurs besoins au niveau européen. Ci-dessous des informations sur la situation actuelle à Vérone (Italie), Budapest (Hongrie), les Métropoles de Lille et Nantes (France) et les efforts de ces collectivités pour faire face à l’urgence.
Vérone est l’une des destinations touristiques les plus romantiques d’Italie, mais elle accueille également un campus et est une zone industrielle et commerciale d’importance. La demande de logements y est donc élevée (2 215 demandes en 2024) et la municipalité n’arrive pas y répondre. Comme chez sa voisine vénitienne, le centre historique est plein de logements touristiques. Les propriétaires préfèrent les locations de courte durée, car elles sont moins réglementées, plus rentables et moins taxées. De plus, les touristes, qui ne restent que quelques jours, laissent les lieux propres. Les rares appartements disponibles en location longue durée sont trop chers pour les personnes à moyen et bas revenus qui travaillent ainsi que pour les étudiant.e.s.
Le marché immobilier de la magnifique Budapest a également été dévoré par les locations touristiques. Comme à Vérone, la municipalité ne parvient pas à répondre à la demande de logement. L’augmentation du prix des logements et les loyers, bien plus rapide que l’augmentation des revenus au cours de la dernière décennie, n’aide pas. Les loyers y sont plus élevés que dans la plupart des villes de l’UE. L’offre est insuffisante, car la plupart des logements sociaux ont été privatisés au début des années 90. De plus, la politique gouvernementale en matière de logement soutient exclusivement l’accession à la propriété, bénéficiant seulement aux foyers à hauts revenus.
Dans la Métropole Européenne de Lille (MEL), le nombre de permis de construire approuvés est passé de 7 000 par an à seulement 5 000. Les autorisations de logements sociaux ont diminué de moitié à cause de la crise financière et de la hausse des taux d’intérêt, tandis que la demande de logements sociaux a augmenté pour atteindre 66 000 demandes entre 2019 et 2023. La métropole estime qu‘il faut construire 6 200 nouveaux logements par an sur son territoire.
Une autre métropole française, Nantes, chiffre à 40 000 ses besoins en logements sociaux supplémentaires. Cette crise du logement a commencé il y a au moins 50 ans, en raison de plusieurs facteurs : des taux d’intérêt élevés, l’augmentation des prix des matériaux et de l’énergie, et la spéculation foncière aggravée après la crise du Covid.
Parfois, le manque de fonds publics peut être atténué par des personnes riches et généreuses. Comme à Vérone, où une personne privée a laissé en héritage un vaste ensemble de bâtiments du début du XXe siècle et des terrains pour aider les personnes dans le besoin et les ONG. Presque tous les logements sociaux de la ville ont besoin de rénovation, car elles sont trop anciennes (bâtiments des années 60-70) et en mauvais état. Bien que Vérone ajoute 1,5 million d’euros à son budget pour la rénovation durable des appartements actuellement vacants, cette somme ne couvrira que 200 des 400-500 appartements nécéssaires. Un partenariat public-privé est donc essentiel pour surmonter le manque de fonds publics.
Le conflit entre l’UE et le Premier ministre hongrois Viktor Orban pour violation de l’État de droit entraîne des conséquences concrètes. Par exemple, le programme ambitieux de logement prévu par la municipalité de Budapest reposait sur des fonds structurels de l’UE qui sont désormais gelés, obligeant la ville à réduire ses plans. Par conséquent, aucun logement social n’est en construction. La municipalité a mis en place une agence du logement, mais les fonds européens sont essentiels pour son activité. De plus, le marché immobilier inabordable de Budapest a contraint de nombreuses personnes à déménager vers les banlieues, ce qui crée une demande accrue pour les infrastructures de transport, aggravant ainsi la charge environnementale et les problèmes de santé publique associés.
Cependant, les collectivités locales ne peuvent plus étendre indéfiniment leurs zones urbaines pour construire : elles risquent d’allonger les distances de transport, d’augmenter la consommation d’énergie et de matériaux, et de laisser moins d’espace pour la nature et les terres agricoles. Ainsi, dans le cadre de la réglementation française Zéro Artificialisation Nette, le préfet de la Région de Lille (Hauts-de-France) a par exemple alloué 700 ha à l’urbanisation pour les 10 prochaines années, dont 400 ha destinés au logement.
Certains utilisent la réglementation Zéro Artificialisation Nette comme bouc émissaire en affirmant qu’on ne peut plus construire. Mais la racine du problème n’est pas là : la crise du logement s’aggrave depuis 50 ans or la réglementation sur le ZAN est très récente […] Ces 60 dernières années, nous avons augmenté la population de 70 % tandis que l’étalement urbain a cru de 234 % – Tristan Riom, Vice-Président de la Métropole de Nantes.
Aussi, pour limiter la spéculation foncière, les Métropoles de Lille et de Nantes expérimentent l’approche des organismes foncier solidaire (ou community land trusts en anglais), où une organisation à but non lucratif acquiert et gère des terrains afin de créer des logements abordables et gérés par la communauté. Nantes Métropole a augmenté son financement pour les logements sociaux de 30 % et a alloué 60 millions d’euros pour acheter de nouveaux terrains afin de construire des logements sociaux avec cette approche innovante.
La transformation d’espaces vacants en appartements est une solution de sobriété prometteuse. Dans la Métropole de Lille, il y a 9 000 propriétés privées vacantes, ce qui pourrait satisfaire la demande de logement pour 1,5 an. Les communes travaillent donc à réintégrer ces propriétés dans le marché du logement abordable. La métropole, avec des partenaires néerlandais, allemands et belges, est l’un des lauréats du projet Interreg North West 2024, Circular Building Convert, dont l’objectif est de transformer des bureaux vacants en nouveaux logements.
Avant de construire de nouveaux bâtiments, la ville de Vérone vérifie toujours si une rénovation est viable en encourage pour cela le travail transversal entre ses départements. Par exemple, une ancienne caserne militaire a été transformée en campus universitaire, tandis que le projet cofinancé par Next Generation EU, Forte Santa Caterina, transformera un ancien entrepôt militaire en un parc et 20 logements énergétiquement efficaces destinés aux catégories les plus vulnérables.
Enfin, l’une des initiatives menées par Budapest consiste à transformer une ancienne école en un bâtiment public durable. Le Département du Climat et la nouvelle Agence Climat de Budapest garantissent que les coûts d’entretien et de vie y sont faibles et abordables. En même temps, la municipalité conçoit un nouveau projet pilote, le Green Panel Building Programme, qui doublera l’engagement pour les quartiers énergétiques et rénovera plusieurs milliers d’appartements pour les personnes ayant peu de chances d’obtenir un financement. L’objectif est de développer ce programme à grande échelle pour toute la ville.
La Métropole de Lille teste une solution innovante en matière de logement : les projets d’habitat collectif. Dix projets collaboratifs de vie collective, d’espaces partagés et de solidarité communautaire sont en développement, mais ils se heurtent à des résistances culturelles.
Selon Eurostat, en 2023 dans l’UE, un tiers de la population vivait dans un logement sous-occupé. Il s’agit principalement de personnes âgées qui habitent de grandes maisons même après que leurs enfants aient quitté le nid familial. La Métropole de Lille tente d’engager un changement culturel en encourageant les résidents âgés à réduire leur surface d’habitation et libérer des maisons familiales en proposant des alternatives.
En Budapest, nous avons des stratégies pour répondre à la fois à la crise du logement et à la crise climatique, et nous avons la capacité administrative avec nos nouvelles agences pour canaliser efficacement les financements afin de soutenir une transition climatique socialement juste. Cependant, pour mettre en œuvre ces stratégies, nous avons besoin de fonds européens ciblés qui atteignent directement les villes—à la fois dans les prochaines années, en lien avec les priorités de la nouvelle Commission, et dans le prochain budget européen post-2027 actuellement en préparation. – Gergely Karácsony, Maire de Budapest
Toutes les villes se réjouissent qu’un commissaire au logement ait été nommé. Que demandent-elles ? Des fonds, bien sûr, mais pas seulement.
L’exemple de Budapest montre que sans argent européen, il est encore plus difficile de réaliser le droit au logement et impossible d’atteindre l’ambitieuse neutralité climatique, pourtant si nécessaire. La capitale hongroise souligne comment des fonds supplémentaires pour le logement social et les locations abordables peuvent aider à lutter contre le sans-abrisme, objectif de plusieurs résolutions du Parlement européen.
La Métropole de Lille demande à M. Jørgensen de se concentrer sur le logement social pour les très faibles revenus, des solutions pour lutter contre la vacance immobilière et la rénovation à grande échelle des logements sociaux. Tandis que Vérone espère que le commissaire fera pression sur les États membres et souhaite partager avec lui la même lettre qu’elles ont envoyée en vain au gouvernement Italien pour lui présenter leurs propositions pour résoudre la crise du logement. Entre autres choses, elles demandent l’attribution gratuite des propriétés inutilisées aux municipalités, le refinancement des fonds d’aide aux groupes vulnérables et la régulation des plateformes touristiques.
À Energy Cities, nous savons combien il est urgent de s’attaquer à ce problème. Pour respecter les limites planétaires tout en permettant aux plus vulnérables de vivre dans des logements décents et durables, nous pensons que la solution réside dans la mise en œuvre de mesures de sobriété telles que la rénovation efficace des logements vacants, la co-habitation, la rénovation des bâtiments existants et une utilisation raisonnée du foncier. La crise du logement est en effet étroitement liée aux enjeux socio-économiques et énergétiques, ainsi qu’à l’urbanisme et à la préservation des sols.
Nous devons réduire notre consommation de foncier. Nous devons changer la manière dont les villes sont construites. On a appris aux architectes qu’il suffit de prendre un champ de patates et de construire des maisons neuves. Nous ne pouvons plus continuer ainsi – Tristan Riom, Vice-président de Nantes Métropole.
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Cet article a été rédigé grâce à la contribution de :
Luisa Ceni, Conseillère aux Politiques sociales et du logement, au Tiers Secteur et à la Zone territoriale sociale, Municipalité de Vérone
Ada Ámon, Directrice exécutive, Agence pour le Climat de Budapest
Bálint Misetics, Conseiller principal du Maire pour les politiques sociales et du logement, Municipalité de Budapest
Guillemette Lescure, Directrice du PLH (Programme Local de l’Habitat), Métropole Européenne de Lille
Tristan Riom, Vice-président de Nantes Métropole