Utrecht est la ville qui connaît le développement la plus rapide aux Pays-Bas. Elle s’efforce d’offrir une qualité de vie élevée à sa population et évolue d’une ville provinciale de taille moyenne vers une capitale régionale, en passant de 350 000 habitant.e.s aujourd’hui à 455 000 habitant.e.s d’ici 20 ans d’après les estimations. En outre, un classement des Nations Unies, Utrecht fait partie des villes du monde où l’on est le plus heureux.se.
Mais qui dit une plus grande population dit aussi plus de logements nécessaires, dans un territoire où le foncier disponible est limité. En outre, les prix sont inaccessibles pour de nombreuses personnes, y compris les jeunes et les classes moyennes. La crise du logement a d’ailleurs été l’un des sujets principaux des dernières élections générales du 22 novembre 2023.
Nous avons interviewé Dennis de Vries, adjoint à la maire d’Utrecht, pour en savoir plus sur les solutions mises en place par la ville face à cette crise.
La demande de logements sociaux ou abordables ne cesse d’augmenter. Au cours des dix dernières années, la disponibilité de ces logements a diminué à Utrecht, comme dans l’ensemble des Pays-Bas. Entre 2019 et 2023, nous avons constaté :
Depuis plusieurs années, le temps d’attente pour un logement social est d’environ 11 ans. Actuellement, 32 % du parc immobilier est constitué de logements sociaux en location, 29 % sont détenus par des bailleurs sociaux et 3 % appartiennent à des propriétaires privés. Chaque année, environ 2 600 logements sociaux se libèrent grâce aux nouvelles constructions ou aux déménagements.
La forte demande est également visible dans les « loteries » de logements sociaux. En 2020, on comptait environ 700 candidatures par logement. En 2023, ce chiffre a grimpé à environ 2 000, en grande partie des jeunes ménages. Nous avons en effet constaté que plus une personne est jeune, moins elle a de chances d’obtenir un logement social. Les jeunes sont ceux qui supportent le fardeau locatif le plus lourd, en particulier sur le marché locatif privé.
Par ailleurs, la demande de logements pour les personnes en situation de vulnérabilité est en hausse. Malheureusement, ces logements ne sont pas toujours disponibles, ce qui les empêche d’aller de l’avant et de reconstruire leur vie.
À ses débuts, Airbnb a eu un impact significatif sur la demande touristique et le marché du logement. Toutefois, à partir de 2017, le nombre d’annonces Airbnb a chuté d’environ 60 %.
Cette diminution est le résultat des mesures strictes mises en place par la municipalité pour réguler ce marché. Notre objectif est de protéger l’offre de logements pour les résident.e.s et de limiter la concurrence déloyale avec les hôtels. Depuis 2021, les propriétaires doivent s’enregistrer et ne peuvent louer leur bien à des fins touristiques que pour un maximum de 60 jours par an.
Nous souhaitons reprendre davantage de contrôle sur la politique du logement et nous concentrer sur des logements abordables et adaptés aux besoins des habitant.e.s. Nous travaillons également en étroite collaboration avec nos partenaires, notamment les bailleurs sociaux, qui jouent un rôle clé dans l’offre de logements abordables à long terme.
Nous construisons environ 3 000 logements par an, y compris des logements temporaires. Toutefois, la construction seule ne suffira pas à résoudre cette crise.
C’est pourquoi nous considérons l’habitat partagé comme une solution importante. Face à la pénurie de logements abordables, les personnes en recherche de logement font des choix différents : beaucoup préfèrent partager un logement plutôt que de rester chez leurs parents ou dans un logement étudiant. Nous observons également une diminution de la taille moyenne des ménages, avec une augmentation du nombre de personnes vivant seules. Pour encourager l’habitat partagé, nous avons mis en place plusieurs mesures :
Enfin, en octobre 2023, nous avons introduit une ordonnance sur les logements vacants afin d’éviter que des biens restent inutilisés. Nous considérons qu’un logement vide est un de trop. Cette mesure semble déjà avoir un effet préventif, car de nombreux propriétaires déclarent désormais leurs logements vacants pour éviter des sanctions municipales. De plus, le nombre de logements vacants de longue durée a diminué. Cette ordonnance sera évaluée en 2025 pour renforcer son efficacité.
Nous travaillons également sur une réglementation visant à limiter l’achat de logements à des fins locatives (buy-to-let). De plus, nous veillons à ce que les logements destinés aux revenus intermédiaires soient attribués en priorité à ce groupe via un système de permis de logement basé sur des critères de revenus.
À Utrecht, nous prévoyons la construction d’environ 60 000 logements supplémentaires d’ici 2040.
Notre stratégie repose principalement sur une croissance maîtrisée à l’intérieur du tissu urbain existant, car l’espace est limité et une seule zone non construite : Rijnenburg. Nous privilégions donc la transformation de sites obsolètes, la réaffectation de bâtiments inoccupés et l’aménagement de terrains vacants.
De manière générale, la rénovation des logements existants est essentielle pour améliorer leur durabilité et leur qualité. Par exemple, les organismes de logement doivent éliminer les logements classés EFG en termes de performance énergétique d’ici 2028 (sauf pour les monuments historiques).
En s’appuyant sur la structure urbaine actuelle, Utrecht optimise ses ressources pour améliorer les espaces publics, les infrastructures et les équipements. Nous sommes favorables à la densification des centres-villes pour ses multiples avantages, notamment la préservation du paysage environnant, une meilleure utilisation et une expansion des équipements économiques et sociaux existants, l’efficacité énergétique, la réduction de la mobilité automobile et le développement d’usages mixtes.
En principe, les efforts de densification peuvent soutenir les objectifs énergétiques et climatiques. En se concentrant sur le développement et la proximité, il est possible d’obtenir des avantages en termes de durabilité. Dans une ville densément construite, il est essentiel de garantir des espaces publics bien conçus avec suffisamment de verdure et d’équipements. S’attaquer à des problèmes tels que le stress thermique en créant des espaces verts est également vital pour une ville à l’épreuve du temps.
Toutefois, dans les conditions actuelles, il est difficile d’atteindre simultanément les objectifs de logement abordable, de circularité et de durabilité. Par conséquent, la municipalité est de plus en plus confrontée à des choix difficiles :
Ma première question au nouveau Commissaire serait : quelle responsabilité l’UE est-elle prête à assumer en matière de logement ?
Comment créer des investissements publics européens pour le logement ? Le Commissaire devrait établir des conditions favorables au logement abordable, notamment par l’intermédiaire de la Banque européenne d’investissement.
Comment les villes peuvent-elles lutter contre le sans-abrisme, qui est avant tout un problème de logement ? Le droit fondamental à un logement est soumis à une pression immense. Une piste serait de dédier un pourcentage des fonds directement aux villes pour financer le logement abordable et lutter contre le sans-abrisme. Cela irait à l’encontre des développements actuels, mais permettrait de prendre des mesures rapides pour imposer les changements nécessaires. Le « logement d’abord » devrait être une priorité absolue.
Le prix du logement a considérablement augmenté dans de nombreuses villes européennes. Cela touche aussi les ménages à revenus intermédiaires. Comment pouvons-nous donner aux organismes de logement social les moyens d’agir et d’investir en faveur des revenus moyens ? Les travailleurs essentiels, tels que les policiers, les enseignants et les infirmières, ne peuvent plus se permettre de vivre dans les villes, ce qui rend les zones urbaines de plus en plus dysfonctionnelles. La jeune génération est également confrontée à des défis. Cela crée diverses tensions sociales. Comment pouvons-nous réduire le temps nécessaire à la réalisation de nouveaux projets de logement ? Le marché n’est pas de notre côté, l’intervention de l’État est donc essentielle, et l’UE peut la renforcer par le biais de conditions politiques. Les villes auront du mal à fonctionner si nous ne pouvons pas offrir des logements abordables aux habitants pour qu’ils puissent y vivre et y fonder une famille.
Nous considérons les bailleurs sociaux comme des partenaires clés pour garantir des logements abordables à long terme et fournir également des logements aux groupes à revenus moyens. Actuellement, les règles européennes en matière d’aides d’État entravent ce processus. À l’instar de notre gouvernement national, nous demandons l’élargissement de la décision d’exemption relative aux « services d’intérêt économique général » (SIEG) de 2012, afin de soutenir davantage les fournisseurs de logements locatifs abordables destinés aux groupes à revenus moyens. Nous saluons des initiatives de la Commission Européenne à cet égard. Nous espérons que cela pourra se faire rapidement, car cela nécessite également des ajustements aux réglementations nationales.
Pour conclure, la vraie question est : quelles villes voulons-nous en Europe ? Nous sommes prêts à collaborer avec l’UE. Alors utilisez nos connaissances, et aidez-nous à faire face à ce problème complexe du logement.
Envie d’en savoir plus sur la crise du logement en Europe ? Découvrez les défis auxquels Budapest et Vérone sont confrontées et explorez la situation dans différentes villes européennes.