Alors que l’Europe suffoque sous des chaleurs extrêmes, les populations urbaines sont en première ligne. Partout sur le continent, les collectivités locales réagissent : elles repensent leurs espaces urbains et déploient des protocoles concrets pour protéger les habitants.
Les vagues de chaleur s’intensifient et se multiplient, exerçant une pression croissante sur les villes. Fin juin et début juillet, une vague de chaleur a frappé une grande partie de l’Europe, avec des températures dépassant les 40 °C en Espagne ou en Italie, provoquant des incendies et mettant les systèmes de santé à rude épreuve. Une analyse scientifique rapide estime que près de 2 300 décès ont été causés par la chaleur dans 12 grandes villes européennes — dont 1 500 directement liés au changement climatique.
Moins visibles que les inondations ou les incendies, les vagues de chaleur sont pourtant la première cause de mortalité climatique en Europe. Les villes, aggravées par l’effet d’îlot de chaleur urbain, sont particulièrement vulnérables : elles exposent les populations, creusent les inégalités et fragilisent l’économie locale. Les scientifiques estiment que le changement climatique a augmenté la température des vagues de chaleur jusqu’à 4 °C en Europe. L’adaptation devient donc une urgence absolue pour les collectivités.
Face à ces défis, de nombreuses collectivités locales agissent. La Convention des Maires pour l’Energie et le Climat, piloté par la Commission européenne, rassemble plus de 10 000 villes et communes engagées dans la réduction des émissions et l’adaptation aux risques climatiques.
Aujourd’hui, 85 % des plans d’adaptation identifient la chaleur urbaine comme un risque majeur. Les villes mettent en œuvre des stratégies intégrées alliant atténuation, adaptation et précarité énergétique.
En 2025, le bureau de la Convention des Maires a lancé la campagne Cities Refresh, mobilisant plus de 30 villes en Europe et ailleurs pour mettre en lumière leurs initiatives contre la chaleur. L’objectif : inspirer d’autres territoires, valoriser les solutions existantes, restaurer des environnements sains et faire en sorte que nos villes restent vivables dans un climat en mutation.
Malgré leurs spécificités, les villes convergent sur un levier majeur : redonner une place à la nature. 91 % des plans d’adaptation locaux en Europe prévoient des solutions fondées sur la nature. Beaucoup des initiatives dans la campagne Cities Refresh misent sur la végétalisation des espaces publics et l’introduction de l’eau pour rafraîchir la ville.
On voit ainsi des villes désimperméabiliser places, rues ou parkings pour laisser place aux arbres. À Marseille, une étude a révélé une perte de 50 % du couvert végétal du centre-ville en 75 ans. La ville réagit : replantation, désimperméabilisation et cartographie d’“itinéraires frais” pour guider les habitants pendant les épisodes de chaleur.
À Guimarães, capitale verte européenne 2026, les infrastructures vertes et bleues sont connectées pour créer des ceintures naturelles : corridors écologiques, forêts urbaines, jardins partagés, prairies irriguées naturellement. Une logique que l’on retrouve à Medellín avec ses 30 corridors verts pour accroître la canopée urbaine et améliorer l’air tout en réduisant les températures.
À Reggio Emilia, en Italie, la municipalité transforme ses parcs : trop standardisés, ils manquaient d’ombre et de fraîcheur. Douze parcs ont déjà été réaménagés avec une végétation adaptée et plus de biodiversité.
Autre levier clé : les cours d’écoles. À Paris, le programme cours oasis a permis de végétaliser 165 cours d’écoles depuis 2017. Elles sont ouvertes au public l’été, tout comme à Lille Métropole.
L’eau fait aussi son grand retour en ville, à la fois pour rafraîchir et offrir de nouveaux lieux de baignade. À Paris, les habitant·es se sont baignés dans la Seine pour la première fois depuis des décennies. Avec Rotterdam et d’autres, la capitale participe à l’Alliance des villes baignables, pour restaurer les rivières urbaines au service de la santé et de la qualité de vie.
Au-delà de la nature, les villes repensent leurs espaces publics pour intégrer des solutions de rafraîchissement passif et une conception bioclimatique. À Rethymno, en Crète, des sols compressés, peintures réfléchissantes et revêtements frais ont été utilisés pour transformer les espaces publics.
À Toulouse, où les 40 °C ne sont pas rares en été, des structures d’ombrage (pergolas, voiles saisonnières, toiles andalouses, dispositifs gonflables) sont testées pour améliorer le confort thermique en ville. Un projet pilote permettra d’identifier les solutions les plus efficaces à généraliser.
À Getafe, dans la banlieue de Madrid, la rénovation des bâtiments intègre le confort d’été comme priorité, via le programme Hogares Saludables (foyers sains). Isolation, végétalisation, rafraîchissement passif : tout est pensé pour les quartiers populaires les plus exposés.
D’autres villes, comme Hambourg ou Vienne, adaptent aussi leurs règles d’urbanisme pour intégrer végétation et solutions naturelles dans les bâtiments. À Hambourg, une stratégie de toitures végétalisées lancé en 2014 met en place un programme incitatif et prévoit 100 hectares de toitures végétalisées, avec une aide publique de 30 à 60 %. À Vienne, des abribus végétalisés testent de nouvelles façons de rafraîchir les mobilités urbaines.
Pour aller plus loin, il faut inscrire la lutte contre la chaleur dans les politiques publiques locales. Cela passe par l’élaboration de plans d’action chaleur, croisant santé, énergie, environnement et politique sociale.
À Maribor (Slovénie), un tel plan a été élaboré en deux ans, identifiant et ciblant les populations les plus vulnerables – personnes âgées, enfants, femmes enceintes, travailleurs en extérieur, personnes malades… Un groupe de pilotage coordonne sa mise en œuvre avec les services municipaux, les professionnels de santé et la société civile.
Des protocoles d’urgence sont également mis en place. À Valence, un réseau de « refuges climatiques » a été tracé, composé de bâtiments publics climatisés (bibliothèques, guichets énergie…), servant d’abris en cas de canicule.
Certaines villes concentrent leurs efforts sur la communication. Athènes a été la première à nommer un “Chief Heat Officer” chargé de sensibiliser la population et d’organiser les réponses aux vagues de chaleur. Séville a même baptisé une vague de chaleur “Zoe” pour marquer les esprits. À Rotterdam, la Journée d’action contre la chaleur, organisée par la Croix Rouge Internationale tous les 2 juin, mobilise acteurs publics et habitants autour de la prévention et a donné lieu à un premier plan national contre la chaleur aux Pays-Bas.
Enfin, les lois nationales peuvent aussi appuyer ces efforts. Dans les Pouilles, après la canicule de 2022, une loi a été adoptée pour protéger les travailleurs en extérieur.
Impliquer les habitant·es est essentiel. Cela permet d’élargir les réseaux de solidarité et de renforcer la capacité d’adaptation.
Certaines villes organisent des marches climatiques pour identifier les zones les plus chaudes, ou mobilisent les citoyen·nes pour verdir leurs rues. Aux Pays-Bas, un “concours d’arrachage de dalles” qui oppose les collectivités, encourage les résidents à enlever des dalles de leur jardin ou des espaces publics, avec le soutien logistique des municipalités : 11 millions de dalles ont été retirées depuis 2021.
À Getafe, des ateliers sont organisés dans les quartiers en rénovation. À Worms, en Allemagne, des animations ciblent les enfants ou les travailleurs pour adapter les comportements en cas de canicule.
À Strasbourg, des associations cartographient les personnes vulnérables et leur apportent un soutien. En s’appuyant sur les réseaux existants — groupes de voisinage, lieux de culte, commerces — les villes peuvent sauver des vies lors d’épisodes extrêmes.