Comment répondre à l’urgence, au besoin d’adapter les trajectoires, de revoir les objectifs tout en ne changeant aucune politique ? C’est un peu la question manquante de toutes les auditions des Commissaires qui se déroulent en ce moment au Parlement européen.
Les incohérences sont nombreuses entre les objectifs, et si le mot « croissance » est peu à peu remplacé par « prospérité », les priorités, elles, ne changent guère. Ainsi la Commissaire-désignée à l’énergie, Kadri Simson, soutient le secteur du gaz et du gaz naturel liquéfié, qui sont selon elle nécessaires pour assurer la transition et la sécurité énergétiques. Sa ville natale, Tartu, en Estonie, a pourtant un mix énergétique exemplaire avec un réseau de chauffage urbain efficace, dense, de source renouvelable. L’Estonie a cependant un voisin qui pèse lourd dans la géopolitique de l’énergie, et qui, au nom de la souveraineté énergétique, continue d’exploiter sur son territoire un des plus grands gisement d’huile de schiste au monde.
Oui, les enjeux climatiques, de sécurité d’approvisionnement, de gestion des ressources, d’instabilités migratoires, politiques, sont colossaux. Oui ce sont des questions complexes, et les arbitrages entre les différents objectifs peuvent être difficiles.
Face à cette complexité, les municipalités veulent prendre des décisions informées, au-delà des débats d’experts, et avoir les outils qui permettent de mesurer les impacts sur le climat (gaz à effet de serre et ressources) mais aussi les bénéfices induits. La pression citoyenne demande clairement des actions (pas des rapports de chiffres), mais pour choisir ces actions, et surtout pouvoir en montrer les impacts, les systèmes de reporting actuels sont largement insuffisants.
Pour la complexité du monde, il faut des outils plus sophistiqués. Pour des débats collectifs pertinents, riches et qui inventent des solutions, il faut une culture « climatique », des connaissances de base qui permettront à tous de se mobiliser. Il faut mesurer les progrès, mensuellement, quotidiennement, mesures après mesures, et pas tous les 5 ans. Il faut aussi concevoir des stratégies locales sur la base réelle des ressources mobilisables, et pas sur des extrapolations de statistiques nationales.
A ce titre, les récents sondages de différents pays[i] montrent que l’enjeu climatique est bien identifié mais que les mécanismes du réchauffement climatique ne le sont que très peu, que notre éducation scientifique de base sur les solutions possibles sont plus que parcellaires. Créer une culture climatique en Europe, avec un Pacte Climat est l’une des missions principales du futur Premier Vice-Président de la Commission européenne ! Ça tombe plutôt bien, le besoin est pressant. Il faudra par contre se donner les moyens pour que les débats à venir sur les transformations qui nous attendent, sur notre trajectoire vers une Europe résiliente, soient des lieux de construction collective. Il en va du futur de la démocratie.
En France, le 4 octobre, une convention citoyenne a été lancée. 150 participant·e·s tiré·e·s au sort, ont pour mission de « proposer des mesures afin de réduire d’au moins 40 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, dans une logique de justice sociale ». Espérons que la convention aura bien le temps et les moyens pour un débat éclairé…
Tenir nos engagements énergie-climat nécessite de changer de méthode. Au niveau européen malheureusement, les auditions des Commissaires ne présagent pas d’un changement. Au niveau national, avec pourquoi pas de vraies conventions citoyennes à qui on donnerait les moyens de la co-construction politique. Et bien sûr au niveau local, avec de nouveaux outils pour appréhender la complexité des interactions, et avoir la finesse nécessaire pour rendre visible les ressources cachées (humaines, naturelles, organisationnelles), pouvoir mesurer constamment les progrès et donc réajuster les trajectoires. Mais surtout, pour mobiliser tout le monde.
[i] Enquête « Les jeunes et le climat » de l’association Pour une école alternative en Belgique, ou encore les propositions de « the Shift Project » pour l’enseignement de la question climatique.