Alors que la nouvelle Commission européenne vient de passer le cap des 100 jours, le temps est venu d’analyser les premiers résultats de son programme phare visant à faire de l’Europe le premier continent neutre sur le plan climatique. Le Pacte vert pour l’Europe a déjà produit des mesures ambitieuses, tant en matière de financement que de gouvernance. Mais il n’a pas encore provoqué le changement de paradigme nécessaire à la transition.
Indéniablement, le Pacte vert est le signe que l’exécutif européen a enfin pris la mesure de l’urgence sociale et climatique. Ces derniers mois ont ainsi vu un changement notable de sa rhétorique, naguère centrée exclusivement sur la concurrence et la croissance, et qui intègre désormais d’autres objectifs clés comme l’équité, l’inclusion ou la collaboration. Les premières mesures prises dans le cadre du Pacte vert vont également dans la bonne direction, même si on ne peut pas encore parler de révolution, comme le montre notre analyse.
Le mécanisme pour une transition juste a été proposé en janvier dernier, dans le but spécifique d’aider les régions dépendants du carbone à faire face à l’abandon progressif des énergies fossiles, en concevant des plans territoriaux de transition juste. La Commission européenne entend mobiliser 100 milliards d’euros dans le cadre de cette mesure. Cependant, seule une fraction de cette somme, 7,5 milliards d’euros, sera effectivement de l’argent frais allouée aux régions et villes éligibles en Europe. Pour le reste, l’exécutif européen compte essentiellement sur les Etats membres, la Banque européenne de l’investissement (BEI) et le secteur privé pour atteindre la susdite somme. Cela se fera en puisant dans le Fonds de cohésion et dans d’autres mécanismes de financement européen (programme InvestEU) et en mettant en place une nouvelle « facilité de prêt au secteur public » gérée par la BEI.
Fin février, la Commission a publié une liste des villes et régions éligibles, ouvrant à de nombreux membres d’Energy Cities la possibilité de postuler à des aides pour une transition juste. Dès lors, ils convient que les villes et régions soient étroitement associées à la gouvernance de ce fonds dans le cadre d’un dialogue structuré, comme l’exige les plans nationaux intégrés en matière d’énergie et climat. Sans cela, le mécanisme pour une transition juste ne sera qu’une initiative de plus parachutée d’en haut, avec la Commission et les Etats membres aux commandes, et les acteurs locaux restant sur la touche. Il est également vital que, dans le cadre de la nouvelle facilité de prêt au secteur public de la BEI, les collectivités puissent bénéficier de prêts à taux zéro si celle-ci veut s’imposer comme une alternative crédible aux autres institutions de prêt.
Le plan d’investissement pour une Europe durable vise à soutenir l’objectif de neutralité climatique du Pacte vert en mobilisant 1 billion d’euros d’investissement sur les dix prochaines années. A cet effet, un quart du prochain budget de l’UE sera consacré au financement de l’action climatique, le secteur privé et le cofinancement des Etats apportant également des centaines de milliards d’euros. Mais ce plan, présenté par la Commission comme le « plan d’investissement du Pacte vert », ne consiste en réalité qu’en une réorganisation de financements déjà existants et non en une source de financement supplémentaire.
Présentée le 4 mars dernier, la proposition de loi européenne sur le climat définit le cadre juridique qui vise à inscrire dans la législation européenne l’objectif de neutralité climatique à l’horizon 2050. Cette proposition de la Commission prévoit que l’exécutif européen puisse renforcer plus facilement les objectifs en matière d’énergie et de climat après 2030, rendant ainsi les choses plus difficiles pour les Etats membres et le Parlement européen pour s’y opposer. Par ailleurs, la proposition de loi sur le climat prévoit également que la Commission puisse adresser des recommandations (non-contraignantes) aux Etats membres dont les actions seraient incompatibles avec l’objectif général de neutralité climatique de l’UE. Mais la nouveauté la plus frappante introduite par cette proposition est sans doute le fait qu’elle confère à la Commission le soin d’examiner la conformité des nouvelles propositions législatives et projets de mesures au niveau européen au regard de l’objectif de neutralité climatique. L’exécutif européen cherche ainsi à éliminer toute incohérence ou contradiction entre la législation européenne et l’objectif du Pacte vert pour l’Europe.
Mais en dépit de ses bonnes intentions, la proposition de loi européenne sur le climat présente quelques écueils. Ainsi, elle n’oblige pas les Etats membres à devenir eux-mêmes neutres pour le climat d’ici 2050, et permet même aux pays les plus en retard de faire cavalier seul et de remettre à plus tard les mesures nécessaires. Par ailleurs, la Commission européenne hésite encore à accroître la baisse des émissions prévue pour 2030, repoussant à septembre la publication d’un plan visant à réviser à la hausse l’objectif européen de réduction des émissions de GES de 40 % actuellement à au moins 50 %, voire 55 %. Enfin, cette proposition de loi sur le climat ne fait pas de l’alignement des investissements sur les objectifs climatiques à tous les niveaux de gouvernance une condition préalable à tout exercice budgétaire, seule manière de maintenir à long terme une trajectoire vers la neutralité carbone.
Présenté en même temps que la proposition de loi sur le climat, le pacte européen pour le climat se définit comme un nouveau cadre de gouvernance qui vise à réunir les régions, les collectivités locales, la société civile, les écoles, l’industrie et les individus. Ensemble, ces acteurs sont incités à prendre une série d’engagements et à identifier des solutions communes aux défis climatiques. Selon les plans de la Commission, le pacte pour le climat vise également à « donner aux citoyens et à toutes les parties de la société une voix et un rôle dans la conception de nouvelles actions, le lancement d’activités de base, le partage d’informations et la présentation de solutions ». La Commission, et notamment son vice-président exécutif Frans Timmermans, espère ainsi utiliser ce mécanisme pour rétablir le lien avec les citoyens qui demandent une action climatique plus forte, associée à un engagement politique ambitieux et à plus de dialogue et de concertation.
Une consultation publique sur le pacte pour le climat a été lancée le 4 mars dernier et sera ouverte jusqu’au 27 mai inclus. Le pacte pour le climat sera ensuite officiellement lancé lors de la COP26 à Glasgow en fin d’année. Pour que ce nouvel instrument puisse donner au pacte vert une réelle gouvernance, il doit reposer sur un véritable pacte social. Ce pacte soit s’appuyer sur la réforme en profondeur de la Convention des Maires, afin d’instaurer des alliances locales pour l’énergie, garantir une réelle gouvernance multi-niveaux et aller au-delà de l’énergie et du climat, en révolutionnant l’éducation et en apportant aux collectivités locales et régionales les ressources dont elles ont besoin pour assurer la coordination de cette gouvernance autour de l’action pour le climat. Le pacte pour le climat doit réinventer notre façon de vivre, sur la base de nouvelles valeurs et normes qui redéfinissent notre relation à notre écosystème local ainsi que nos responsabilités et engagements vis-à-vis de la crise climatique. Que ce soit au niveau territorial, social ou économique, cela contribuera également à donner au terme « cohésion », l’un des plus importants objectifs du projet européen, un sens nouveau.
En avril, l’Union Européenne entend s’attaquer à la réforme de sa gouvernance économique en réexaminant les règles européennes en matière de dépenses et de déficit dans le contexte de la révision du pacte de croissance et de stabilité de l’Europe. La Commission européenne cherche également à introduire des exceptions aux règles de déficit du budget européen pour les investissements verts, mais plusieurs Etats membres ont déjà exprimé leur opposition à cette idée. Or, éliminer les obstacles aux investissements publics est indispensable pour libérer les ressources nécessaires et faire que ce Pacte vert puisse réellement changer la donne. Outre cette réforme de la gouvernance économique, il faut également s’attendre à une réforme de la politique de cohésion de l’UE. L’exécutif européen, au travers de son nouveau « service d’appui à la réforme structurelle », cherche en effet à s’affranchir des frontières administratives traditionnelles pour établir ce qu’il appelle des « zones fonctionnelles », l’objectif étant de s’assurer que la prospérité et le développement territorial ne bénéficient pas aux seuls centres urbains, mais également aux zones alentours.
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