Repenser les critères d’appréciation de la « bonne gestion » budgétaire au niveau local pour engager la bifurcation écologique

Les communes et intercommunalités doivent consacrer des moyens budgétaires importants et ciblés dans un contexte tendu de raréfaction des deniers.


À propos

Auteur

Anthony Poulin, Maire-adjoint de Besançon

Date de publication

16 juin 2023

Anthony POULIN, Maire-adjoint de Besançon en charge des finances, de la commande publique, du développement durable et de la coordination des actions de résilience

Il est nécessaire de repenser le cadre et les règles

Face à l’accélération du changement climatique confirmée dans les derniers rapports du GIEC, il est décisif d’enclencher la mobilisation générale de l’ensemble des acteurs publics et privés. Du global au local, il n’y a qu’un pas. En effet, la Stratégie Nationale Bas Carbone indique que 75% des leviers de la transition écologique sont territoriaux. D’autant plus que, les collectivités sont le premier investisseur public en réalisant 70% de l’investissement public civil en France dont plus de 27,2 milliards d’euros pour les seuls communes et intercommunalités. 

Les collectivités locales, en particulier les communes, se révèlent être les chevilles ouvrières de la transition écologique. Pour cela, les communes et intercommunalités doivent consacrer des moyens budgétaires importants et ciblés dans un contexte tendu de raréfaction des deniers publics. 

A partir des scénarios « Transition(s) 2050 » de l’ADEME, le cabinet I4CE a estimé les investissements climat supplémentaires qu’il faudrait réaliser dans les bâtiments, les transports et la production d’énergie pour s’engager sur le chemin de la neutralité carbone. Ils se situent entre 14 milliards d’euros par an pour une transition frugale, et jusqu’à 30 milliards d’euros par an dans un scénario où les progrès techniques préservent les modes de vie. Les montants nécessaires pour faire face aux défis climatiques et sociaux actuels nécessitent d’activer tous les leviers de financement et de les repenser en profondeur pour les rendre compatibles avec les enjeux climatiques.

Inscrire des sommes dédiés à la transition écologique ne suffira pas. Il est nécessaire de repenser le cadre et les règles. Les critères permettant d‘évaluer la bonne gestion des finances publiques doivent évoluer pour s’adapter aux réalités de l’urgence climatique et sociale. Gérer un budget local « raisonnablement » au XXIe siècle (pour reprendre l’adverbe qui a remplacé la notion de « bon père de famille » en droit civil) impose de bâtir une conception moderne des finances publiques locales articulée autour de la notion de « soutenabilité ». 

Renforcer la gestion budgétaire pluriannuelle pour transformer les politiques publiques

Trop longtemps, trop souvent, les politiques de transition écologique ont été cantonnées à des chapitres budgétaires dédiés et déconnectés des autres. Cela reste encore le cas dans de nombreuses communes et intercommunalités. Le « silotage » des politiques publiques locales reste un frein à l’amplification et à la mise en cohérence des politiques environnementales, énergétiques, de mobilité, de gestion des ressources et d’aménagement du territoire.

Plusieurs initiatives ont été prises par des communes et intercommunalités pour systématiser une approche intégratrice des enjeux écologiques dans la construction des budgets locaux. Le marquage environnemental ou « budgétisation verte » regroupe plusieurs méthodologies plus ou moins opérationnelles comme l’illustre un rapport de l’Agence France Locale élaboré en collaboration avec l’INET en avril 2022.

De son côté, la Ville de Besançon travaille actuellement à une approche particulière en lien avec le CEREMA et le cabinet d’études Auxilia. L’enjeu est de se doter d’un outil d’aide à la décision budgétaire qui ne se situera pas dans le champ de l’évaluation mais dans celui de la construction même des projets à inscrire au budget. Une méthode qui pourrait se rapprocher de la logique ERC présidant en matière de préservation de la biodiversité et qui pourrait se traduire du point de point de vue de la préparation budgétaire par une approche ERA : Eviter, Réduire, Adapter. En éco-conditionnant l’ensemble des nouveaux projets et en anticipant les impacts de ses réalisations, la Ville de Besançon s’appuiera sur des critères extra-budgétaires complémentaires pour justifier ses choix et s’assurer de la compatibilité écologique de ses projets sur le court, moyen et long terme.

Le point commun entre toutes les approches de budgets verts réside dans le fait qu’elles s’inscrivent dans une logique de construction pluriannuelle des budgets locaux. L’enjeu d’inscrire sur plusieurs années la réalisation de ses investissements apparait comme une condition minimale pour parvenir à amplifier la transition écologique. S’il ne sait pas où il va et pourquoi il le fait, l’élu n’est qu’un gestionnaire et oublie sa fonction politique première : celle de façonner la société et le vivre ensemble.

Cités des Arts et de la Culture, Besançon, France

Faire de l’emprunt public local un instrument amplificateur de la transformation écologique de nos territoires

Dans une logique de soutenabilité écologique, il est nécessaire de repenser notre rapport à la dette des collectivités. Pour faire face aux défis actuels, il convient de réhabiliter les vertus de l’endettement comme levier d’accélération de la transition écologique dans les territoires. Eric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts et des consignations, ne dit pas autre chose lorsqu’il déclare qu’il faut « augmenter la dette financière pour réduire la dette écologique ».   

Le rapport Pisany-Ferry de l’économiste Jean Pisani-Ferry et l’inspectrice générale des finances, Selma Mahfouz abonde dans ce sens. L’économiste soutient à juste titre : « On a eu beaucoup de mauvaises raisons de s’endetter, mais le climat n’en fait pas partie ». La nécessité d’accélérer les investissements écologiques doit s’accompagner d’une nouvelle approche de la dette publique locale et nationale. A ce titre, il apparait pertinent d’extraire du calcul de l’endettement public les investissements nous permettant d’atteindre les objectifs de l’accord de Paris.

Cette approche est déjà à l’œuvre dans de nombreuses collectivités. Plusieurs collectivités ont très massivement augmenté leurs capacités d’investissement, dans une logique de relance et d’accélération de la transition écologique dès 2020. C’est le cas pour la Ville de Besançon qui a programmé 10 millions d’euros d’investissements supplémentaires par an, sur la durée du mandat et de manière pluriannuelle, soit 60 millions d’euros entièrement dédiés au plan climat-solidarité de rénovation des écoles et des crèches. 

Pour financer ces opérations de transition écologique, les collectivités étudient toutes les sources de financement, et tout particulièrement l’emprunt. Aujourd’hui, 34% des projets d’investissement des collectivités sont financés par des emprunts bancaires classiques. Ce n’est pas anodin du point de vue écologique, l’impact climatique du secteur bancaire est important. Plusieurs rapports d’ONG au niveau français et européen, dressent un constat alarmant. La réhabilitation du recours à l’emprunt passe par son « éco-conditionnement » pour que l’action locale intègre l’impact global du financement sollicité.

Face à ce constat, en juin 2021, la Ville de Besançon est la première ville française à avoir fait de la responsabilité climatique et sociale un critère de choix de ses partenaires bancaires. Désormais, elle s’assure la provenance des fonds bancaires permettant le financement le grand plan d’investissements en faveur de la transformation écologique de notre ville (rénovation des écoles, végétalisation de la ville…).

Une quinzaine de collectivités françaises dupliquent cette initiative. Désormais, elles ont décidé lorsqu’elles empruntent, de mettre en concurrence les différentes banques, sur des critères à la fois financiers et extra-financiers. Comme l’écrivaient les maires de ces villes (Paris, Lyon, Grenoble, Rennes, Bordeaux, Bourg en Bresse…) dans une tribune commune en novembre 2022 : « Aujourd’hui plus que jamais, il est temps d’amorcer une véritable transformation de l’économie, vers un modèle plus juste et plus durable. » 

Besançon © Leonid Andronov

Garantir des ressources durables aux collectivités et repenser une fiscalité du XXIe siècle

Pour pouvoir programmer dans le temps leurs actions pro-climat, les collectivités ont besoin de confiance et de visibilité tant du point de vue des dotations financières, que de leur autonomie fiscale.

Les relations financières entre l’Etat et les collectivités territoriales semblent répondre à un seul raisonnement : celle de la réduction coûte que coûte des dépenses publiques. Cette politique cible injustement les dépenses de fonctionnement qui sont pourtant le cœur battant des collectivités.

Un autre raisonnement devrait s’imposer : celle d’augmenter les recettes publiques pour assurer sur le long terme des recettes durables aux collectivités locales. C’est la seule façon pour pouvoir inscrire réellement l’action des collectivités locales dans la durée. La réduction de la fiscalité pour les particuliers et les entreprises est problématique. La Cour des comptes dans son dernier rapport [1] s’inquiète de cette situation amenant même le gouverneur de la Banque de France à sortir de sa réserve et à appeler à « arrêter la course à la baisse d’impôt dans notre pays » [2].

L’amplification de la transition écologique dans les territoires passe par le renforcement de l’autonomie financière, et donc fiscale, des collectivités. Les suppressions de la taxe d’habitation et de la CVAE vont à rebours de l’histoire décentralisatrice française. Au regard de l’accélération des enjeux climatiques, il est urgent de fournir aux collectivités les moyens de leurs ambitions climatiques et sociales. Repenser en profondeur la fiscalité locale avec comme double objectif de garantir des ressources durables aux collectivités tout en intégrant les enjeux du XXIe siècle apparait comme une piste à inscrire prioritairement au calendrier législatif.

Voir plus loin…

Et si l’enjeu principal n’était pas in fine de s’extraire d’une vision gestionnaire des documents budgétaires en s’autorisant à faire du budget un instrument politique au service de la transition ? En finir avec un dialogue descendant entre l’Etat et les collectivités et envisager des conditions de partenariats dont les termes seraient partagés, sécurisés et adaptés aux vulnérabilités des territoires ?

Les défis sont nombreux, le temps est compté. Depuis 2020, dans plusieurs villes françaises le pilotage financier s’inscrit dans une vision alternative en rupture avec l’orthodoxie budgétaire classique. Il est urgent d’amplifier cet élan. Demain, il sera trop tard.


[1] – Les finances publiques locales 2022 – Fascicule 2 », Cour des Comptes, 26 octobre 2022

[2] – « Arrêtons la course à la baisse d’impôts dans ce pays ! », François Villeroy de Galhau sur France 2, Les 4 vérités, 13 février 2022