Parlons dépaysement, en ces temps politiques intenses et mouvementés, faisons un petit pas de côté, prenons une respiration.
J’ai eu la chance de prendre des vacances et de voyager vers les Balkans, en train…à 44km/h de moyenne, traversant une poignée de pays, tous plus beaux les uns que les autres. 44km/h, c’est plus ou moins la vitesse des vélos électriques aujourd’hui. Mais sur un vélo, on ne peut pas faire de voyage dans le temps, se retrouver dans un wagon des années 80 avec des cendriers fonctionnels et découvrir combien les larges sièges sont confortables, dans un compartiment qui permet la conversation alors même que l’on ne partage pas du tout la même langue. Pas de messages intempestifs dans les gares, mais des petits bars conviviaux, pas d’écrans pour annoncer les retards, mais une cheffe de gare qui vient vous voir ; pas de machines pour acheter son ticket, qui ne sera pas échangeable, qui sera nominatif avec présentation du passeport, mais un contrôleur qui vend les titres de transport à bord.
On pourrait croire que j’ai un regard nostalgique sur un monde révolu, c’est sans doute vrai. Mais j’ai quand même été frappée par l’humanité de toutes ces pratiques. Et de leur efficacité également !
Un retard ? le train suivant attendra pour garantir la connexion. Je suis également très étonnée de la frontière qui existe encore entre les Balkans et l’Europe de l’Ouest et je ne suis pas sûre du chemin de « modernité » que nous proposons.
Ainsi, la gare de Ljubljana qui reçoit 214 millions d’Euros du Fonds européen de Relance pour devenir…. comme toutes les gares européennes qui ressemblent elles-mêmes à des aéroports, à des endroits où consommer, et surtout pas à des endroits où se rencontrer. Ces transformations qui demandent aux voyageurs de faire des kilomètres, et finalement sont moins accessibles à beaucoup de personnes pour qui les distances sont difficiles…
En gare de Graz[i], j’ai voulu acheter des billets auprès d’un humain. Coût de ce luxe : 10€ de plus que la machine. Un luxe pour moi, mais nombreuses sont les personnes qui pour une raison ou une autre, exclusion bancaire, handicap, compétences linguistiques, elles, n’ont pas le choix. « Les machines ne sont pas syndiquées et ne demandent pas d’augmentation » me dit le préposé à la vente dans un demi-sourire amer….
En quoi notre organisation est plus efficiente ? je ne suis pas sûre d’avoir une réponse. Mais elle est certainement beaucoup moins humaine, que cela soit dans le design des gares, des trains, des services, des systèmes de réservations autoritaires gouvernés par des algorithmes de prix incompréhensibles. Tous ces systèmes engendrent stress, inconfort, et vitesse…. ils nous coupent du monde, des autres. Et c’est donc politique.
Nous ne pourrons pas enrayer la montée des haines sans repenser nos espaces publics, nos gares, nos villes, nos services, … sans les « ré-humaniser ». Rendre les lieux que nous habitons conviviaux, qui multiplient les possibilités de rencontres, de solidarité, de proximité, de construction collective, devrait être le cœur des politiques européennes. Sinon, comment tenir la promesse de « promouvoir la paix, [ses valeurs], et le bien-être de ses peuples »[ii].
[i] Par ailleurs, une ville « verte » exemplaire, qui a su mettre l’humain, le piéton en particulier au centre de la transformation urbaine, des abris de bus végétalisés et ouverts… une ville pacifiée.
[ii] Article 3 du Traite de l’Union Européenne : https://eur-lex.europa.eu/resource.html?uri=cellar:2bf140bf-a3f8-4ab2-b506-fd71826e6da6.0002.02/DOC_1&format=PDF