En matière de transition énergétique, la décarbonation des bâtiments en Europe constitue un immense défi à relever. Même si ces bâtiments consomment 43 % de notre énergie et sont responsables de 36 % de nos émissions de gaz à effet de serre, la difficulté réside surtout dans le fait que cela représente des centaines de millions de petits défis à relever, et non un seul grand objectif à atteindre, tout en étant la pierre angulaire de la transition vers un système d’énergie zéro carbone (amélioration des réseaux, flexibilité, réponse à la demande, etc.). Par conséquent, le regroupement de ces défis sur le plan local est une excellente initiative. Elle permet en effet de tirer parti des effets d’échelle, de valoriser les rejets thermiques des sites industriels et de mettre en œuvres des technologies telles que le chauffage et le refroidissement urbains. Nos espaces de vie et nos systèmes énergétiques doivent également être plus sains, plus sûrs et plus résilients. Ils doivent nous procurer fraîcheur lors des périodes de canicule et chaleur pendant l’hiver. C’est précisément ce que demande l’obligation de planification locale du chauffage et du refroidissement dans la récente directive sur l’efficacité énergétique à chaque ville de plus de 45 000 habitants.
La semaine dernière, l’Allemagne a adopté sa loi de planification, qui obligera les autorités locales à mettre en place des plans de chauffage et de refroidissement à partir de 2028, dépassant ainsi les objectifs de la directive.
Cependant, l’ajout d’une nouvelle obligation incombant aux autorités locales ne mènera à rien si les villes ne disposent pas des ressources nécessaires (argent, personnel, compétences et cadre juridique) pour développer et mettre en œuvre des plans d’action, qui risquent alors de rester lettre morte. C’est là que les États membres doivent entrer en jeu.
Un nouvel outil de suivi d’Energy Cities permet de visualiser l’assistance offerte aux villes par les États membres ainsi que le cadre juridique national existant en rapport avec les plans locaux de chauffage et de refroidissement.
Un niveau de préparation hétérogène au sein des États membres
Les pays européens n’ont pas encore sérieusement commencé à considérer les mesures nécessaires pour décarboner les bâtiments tout en conservant un environnement suffisamment chaud ou frais pour les habitant·es.
La moitié des États membres n’a encore établi aucun plan local de chauffage et de refroidissement. Dans d’autres pays, de telles initiatives sont en place depuis des décennies, par exemple, au Danemark, en Suède, en Finlande et en Estonie. Ces plans étaient cependant initialement axés sur la sécurité de l’approvisionnement ; ce n’est que depuis peu que les objectifs de décarbonation ont été pris en compte. L’essentiel est que d’autres pays ont récemment rattrapé leur retard ans une certaine mesure, à savoir les pays du Benelux, l’Irlande et l’Allemagne. Dans ces États, la raison principale est souvent la réalisation d’objectifs environnementaux, mais il reste encore beaucoup de travail pour intégrer ces plans dans l’aménagement du territoire et l’urbanisme, et pour traduire la stratégie en action.
Pour les pays de l’Europe du sud et de l’est, le défi est immense. Dans des pays comme la Pologne et la Grèce, nous constatons un écart considérable dans les ressources locales nécessaires pour relever ce défi.
En cette année de chaleur record, aucun pays européen n’a apporté son soutien aux plans de refroidissement locaux. On ne peut que souligner l’impact que cette inaction aura sur la population dans les années à venir.
Le chauffage et le refroidissement : des problématiques locales avec un soutien national
La planification du chauffage et du refroidissement doit être réalisée à l’échelle locale, car chaque région comporte différents types de bâtiments, une géologie et des conditions météorologiques uniques, ainsi que des ressources thermiques qui lui sont propres, comme l’eau ou l’industrie. Ce qui fonctionne dans une ville portugaise ne fonctionnera pas dans une ville polonaise. De plus, seul le niveau local offre la possibilité d’impliquer des groupes de citoyen·nes, des entreprises et des industries locales, des organisations de santé et d’éducation, ainsi que des fournisseurs d’énergie dans l’élaboration et l’implémentation d’une stratégie. C’est la clé pour s’assurer que les problèmes sont compris correctement et la stratégie respectée.
Cependant, les villes ne peuvent pas y arriver seules. Dans plus de la moitié des pays européens, il sera nécessaire d’élaborer un cadre législatif ainsi que de développer un système de soutien aux villes entièrement nouveau. Ces pays doivent agir plus rapidement, et la prochaine Commission européenne doit développer une nouvelle stratégie commune en matière de chaleur pour les aider à y parvenir.
S’il est évident que le financement doit faire partie des mesures de soutien à l’échelle nationale, les États membres seront appelés à aider les villes de nombreuses autres manières.
Lors de la transposition de la directive sur l’efficacité énergétique en droit national, les États membres doivent modifier le cadre juridique existant pour les autorités locales afin d’y intégrer la nouvelle obligation et d’éviter le cloisonnement des différentes mesures. Cette obligation doit également être coordonnée avec la stratégie de décarbonation des bâtiments existante aux niveaux régional et national.
Les États membres doivent renforcer l’aide qu’ils apportent sur le plan technique en fournissant des documents d’orientation, des formations et des groupes de travail afin d’aider les municipalités de toutes tailles à élaborer un plan solide et fonctionnel. Les États membres peuvent s’inspirer de la Flandre, qui a développé un ensemble complet d’outils techniques.
Enfin, les villes devront pouvoir accéder facilement à des données détaillées relatives à l’énergie ainsi qu’à d’autres données spatiales. Ce point est essentiel. On trouve de bonnes pratiques en Allemagne, où les fournisseurs d’énergie ont l’obligation de partager leurs données par le biais de bases de données en accès libre. La qualité des plans et la réussite de leur mise en œuvre en dépendent.
Un potentiel énorme à ne pas gaspiller
Si chaque ville, moyenne ou grande, élaborait et mettait en œuvre une stratégie locale de décarbonation du chauffage et du refroidissement, cela pourrait changer la donne pour l’UE. Il existe déjà des exemples à suivre en Europe. Pour les autres, il s’agit simplement d’avoir la volonté et les moyens de soutenir les villes de manière systématique dans cette démarche.
Certains de ces exemples seront présentés à Bruxelles le 11 octobre lors de la conférence de fin du projet Decarb City Pipes 2050 financé par l’UE. Sept villes seront présentes et débattront des solutions techniques, financières, organisationnelles et liées à la planification à apporter par et pour les villes, ainsi que des propositions législatives destinées aux organes législateurs nationaux et européens, afin de décarboner le secteur du chauffage et du refroidissement.
L’un des messages clés portera sur le rythme de ces mesures, en particulier à mesure que les objectifs de l’UE pour 2030 se rapprochent. Il faut environ cinq ans de planification avant de commencer les travaux d’installation d’un réseau de chauffage urbain, ce qui signifie que les villes doivent agir maintenant, en bénéficiant du soutien nécessaire pour élaborer leurs plans de chauffage et de refroidissement.
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