Blockchain : amener la coopération au marché énergétique


À propos

Auteur

David Donnerer

Date de publication

29 mai 2018

Pensez à une fourmilière. Imaginez des centaines, des milliers de petits insectes auto-organisés partants dans toutes les directions, certains d’entre eux donnant des feuilles minuscules à leurs camarades. Tout se passe rapidement, rien ne se perd. Les fourmis sont portées par la coopération, pas la compétition. Je sais, la blockchain est bien plus complexe que tout cela, mais est-ce qu’elle ne traite pas aussi les transactions, la coopération et la confiance ? Et tout comme les fourmis, cette technologie de rupture concerne l’équilibrage d’un écosystème entier, souvent urbain.

Qu’est-ce qui rend la blockchain si fascinant et révolutionnaire pour notre système énergétique ?
La blockchain émerge à un moment où de plus en plus de nouveaux acteurs (entreprises d’énergie renouvelables, villes, coopératives citoyennes) entrent dans le marché de l’énergie. Nous sommes témoins d’une vague de remunicipalisation imparable, qui entraîne dans plusieurs villes européennes le retour de l’approvisionnement de l’énergie vers le domaine public. Et nous sommes en train d’observer le succès fulgurant du mouvement de l’énergie citoyenne. Tout cela relève de nouveaux défis sur la question de comment gérer (et surtout qui gère) la production et la distribution de l’énergie. La blockchain, même si elle en est encore à ses premiers pas, pourrait être un instrument qui ramènerait la gouvernance de l’énergie au niveau local.

« La blockchain n’est en fait pas seulement une, mais plusieurs technologies. C’est une grande famille de technologie », dixit Sören Högel de la Stadtwerke Wuppertaldans un panel pendant la conférence annuelle d’Energy Cities à Rennes. La blockchain permet non seulement de tracer les données de façon transparente, mais en multipliant les points de stockage, elle permet aussi de réduire le risque de perte de données. Vous allez savoir d’où vient l’énergie, où elle est consommée et être en capacité de faire le suivi des paiements. C’est un grand nombre de participants qui est impliqué dans la construction de la chaîne en jouant un rôle de vérification et de validation. Les projets pilotes qui expérimentent la blockchain sont censés faciliter l’achat et la vente de l’énergie. Il n’y a en théorie aucun autre intermédiaire que la technologie de la blockchain elle-même. 

Ramener la gouvernance de l’énergie au niveau local dans un petit village

Sandro Schopfer, qui travaille au Bits to Energy Lab à l’université suisse renommée ETH Zurich, est un des pionniers qui vise à refondre le marché d’énergie à travers un modèle de blockchain innovant pour la gouvernance locale de l’énergie. Schopfer, chercheur dans la gestion de l’information qui a travaillé 5 ans dans l’industrie de l’énergie, gère l’implication de l’ETH Zurich dans le projet pilote Power-ID au sein du village de Walenstadt (5,000 habitants) situé dans le canton de St. Gallen. Financé par l’agence d’énergie fédérale suisse en impliquant une coopérative de services énergétiques, l’objectif de Power-ID est de créer un petit marché d’énergie locale de pair à pair entre 20 prosommateurs et 20 consommateurs en utilisant la blockchain.

Le réseau décentralisé conçu par Power-ID mise sur l’énergie solaire et le stockage (batteries) et vise la couverture au minimum de la moitié des besoins d’énergie de Walenstadt. La mise en lien d’acteurs locaux a vocation de réduire les coûts du système pour tous et d’inciter à la production et à la consommation d’énergie renouvelable locale. Tandis que l’ETH Zurich et la coopérative de services énergétiques n’ont pas encore décidé s’ils veulent utiliser une blockchain publique ou privée pour ce projet pilote, toutes les parties prenantes se sont mises d’accord pour utiliser la blockchain Ethereum sur le volet paiement.

La blockchain remplira trois fonctions dans le projet  : assurer les paiements entre les acteurs impliqués, agir en tant que matchmaker et répartir de façon équitable les coûts du réseau, en tenant compte des fluctuations de la demande et de l’alimentation en énergie. Les coûts du réseau seront flexibles en fonction du degré d’autosuffisance à un moment donné – s’il y a par exemple beaucoup d’énergie locale produite (parce que la journée est ensoleillée), les participants du réseau paieront seulement pour leur propre réseau. Si par contre il est nécessaire d’utiliser de l’énergie venant d’autres réseaux (locaux), les participants devront aussi payer pour les coûts de ces réseaux extérieurs.

Quelle est l’innovation derrière le projet pilote Power-ID ?

  • Echange de pair à pair dans un petit réseau décentralisé, qui garde la création 
    de valeur (l’énergie produite et consommée) sur le territoire
  • Le développement des coûts du réseau est transparent grâce à la blockchain
  • La coopérative de services énergétiques est impliquée dans le projet, mais n’assume pas son rôle traditionnel d’intermédiaire, laissant ainsi la place à l’émancipation des prosommateurs et consommateurs qui participent au réseau
  • Au lieu de payer un premium sur l’énergie produite localement, le projet pilote Power-ID veut réduire le coût de l’énergie locale pour renforcer sa valeur et accroitre son attraction vis-à-vis des citoyens
  • Finalement, dans ce projet pilote le coût du réseau est déterminé de façon bottom-up, au lieu d’être imposé top-down par les grands opérateurs de réseaux

Retournons vers notre fourmilière. Regardez comment ces fourmis sont capables de fertiliser le sol qui les entourent et de contribuer à la dispersion des semences. Bien sûr, nous ne voudrions pas que le monde de la fourmi devienne numérisé. Mais si les expérimentations blockchain qui sont en cours actuellement, comme dans le village suisse de Walenstadt, peuvent ressembler à des semeurs de semences comme les fourmis, ceci ne serait-il pas merveilleux ? Diffusant les semences pour un nouveau système énergétique durable et solide qui bénéfice tout le monde.

Crédit photo : user rawpixel sur Unsplash