La loi européenne sur le climat peut-elle suffire à atteindre la neutralité climatique?

Nous analysons pour vous les dernières évolutions des politiques européennes dans le "Quoi de nEUf ?"


À propos

Auteur

David Donnerer

Date de publication

01 octobre 2020

A première vue, la loi européenne sur le climat proposée par la Commission maintient le principe d’une élaboration des politiques européennes par le haut, les rôles essentiels restant dévolus à l’exécutif européen et aux États membres.  Ainsi, la Commission européenne pourrait unilatéralement augmenter les objectifs de réduction des émissions à intervalle régulier (à savoir tous les 5 ans) afin de maintenir l’UE sur la voie de la neutralité climatique en 2050. Elle pourrait également soumettre chaque nouvelle proposition de texte de loi à un « contrôle au regard de la neutralité climatique » et évaluer régulièrement si les mesures prises par les États membres sont conformes à l’objectif fixé pour 2050.

Les États membres sont exonérés de responsabilité

Malgré ces nouveaux ajouts à la panoplie d’actions de la Commission, la loi européenne sur le climat évite encore et toujours de mettre la pression sur les États membres comme indiqué ci-après.  Premièrement, les États membres ne sont pas tenus d’atteindre eux-mêmes la neutralité climatique, car il s’agit seulement d’un objectif à l’échelle de l’UE. Deuxièmement, les recommandations émises par la Commission ne sont pas contraignantes, ce qui signifie que les États membres peuvent les ignorer sans crainte de sanctions. Troisièmement, si les États membres sont encouragés à débattre de l’objectif de neutralité climatique pour 2050 avec leurs parties prenantes et leurs citoyens dans le cadre de dialogues multi-niveaux sur l’énergie et le climat, ils n’ont aucune obligation de le faire. Et l’expérience montre que lorsque les pays membres de l’UE sont seulement « encouragés » à faire quelque chose, ils en ressentent rarement le besoin.

Aucune reconnaissance du rôle clé des villes

Bien que les institutions européennes soulignent régulièrement l’importance cruciale des collectivités dans la mise en œuvre des politiques énergie-climat de l’UE – notamment dans le cadre de la Convention des Maires – la loi européenne sur le climat ne reconnaît pas le rôle clé des villes dans la réalisation de l’objectif visant à rendre l’UE climatiquement neutre. La position du Parlement européen sur la loi sur le climat, préparée par l’eurodéputée socialiste Jytte Guteland, améliore quelque peu la proposition à cet égard. Elle demande notamment l’instauration d’objectifs de neutralité climatique contraignants au niveau national, la suppression progressive des subventions aux combustibles fossiles dans toute l’UE d’ici 2025, la création d’un budget carbone européen et l’adoption d’un objectif de réduction des émissions pour 2040, afin de rendre la trajectoire vers la neutralité climatique plus rigoureuse et plus cohérente. En outre, le Parlement entend renforcer le rôle des acteurs extérieurs avec la création d’un conseil consultatif scientifique indépendant, le Conseil européen sur le changement climatique, chargé de superviser les progrès de l’UE vers la neutralité climatique. Il propose également de rendre plus strictes les dispositions du texte relatives à la participation, afin de permettre aux collectivités de participer au processus décisionnel au niveau européen et national.  

Les améliorations apportées par le Parlement sont-elles suffisantes ?

Il est certain que toutes les propositions progressistes du Parlement ne survivront pas aux prochaines négociations institutionnelles, qui devraient être conclues d’ici la fin de l’année. Alors que les États membres semblent de plus en plus adhérer à la notion de neutralité climatique – voir par exemple la Pologne qui, de manière surprenante, a récemment accepté de mettre fin à l’exploitation du charbon d’ici 2049 – il est peu probable qu’ils acceptent des objectifs nationaux contraignants, ou encore la suppression définitive des subventions aux combustibles fossiles en 2025. Mais même si certaines des améliorations apportées par le Parlement européen à la loi européenne sur le climat parviennent à passer, comme la proposition de Conseil européen sur le changement climatique, ces changements ne suffiront pas. Même sous une forme améliorée, la loi européenne sur le climat ne peut amener l’UE à la neutralité climatique.

Une gestion plus flexible de l’objectif de neutralité climatique est essentielle

Que faut-il alors pour transformer l’UE en un continent climatiquement neutre d’ici 2050 ? Essentiellement, une approche différente de la manière habituelle d’élaborer les politiques européennes, avec deux changements principaux. Tout d’abord, la flexibilité est essentielle. Une gestion plus flexible de l’objectif de neutralité climatique est indispensable afin de pouvoir adapter rapidement (c’est-à-dire chaque année) les mesures et les objectifs nécessaires. Le processus actuel d’élaboration des politiques européennes prend souvent 2 à 3 ans pour décider d’une nouvelle proposition ou d’une révision des propositions existantes, ce qui est trop long à une époque où les événements imprévus (dont l’actuelle pandémie de COVID-19 est un cas typique) ne feront que gagner en fréquence à mesure que la crise climatique progressera.

Donner aux villes une véritable place à la table des négociations

Deuxièmement, les villes doivent se voir attribuer un véritable rôle dans le processus décisionnel de l’UE, qui va au-delà de la simple représentation au sein d’organes communautaires purement consultatifs tels que le Comité des régions. Les villes européennes devraient par exemple pouvoir signaler rapidement à la Commission et/ou aux tribunaux européens toute menace ou obstacle à leur capacité de contribuer à la réalisation de l’objectif de neutralité climatique de l’UE, tant au niveau national (suite à des changements dans la législation nationale par exemple) qu’européen. Un tel mécanisme juridique – qui reviendrait à lever le « drapeau rouge » – devrait également être accompagné de la possibilité pour les villes d’avoir un véritable « siège à la table des négociations » dès lors que la législation européenne a un impact critique sur leurs efforts visant à mettre en œuvre l’objectif de neutralité climatique d’ici 2050. Afin de mettre en place cette possibilité, un dialogue multi-niveaux permanent et contraignant, associant les représentants des villes, les États membres et la Commission, devrait être établi. La base juridique d’un tel dialogue pourrait être définie dans un nouveau règlement européen sur l’intégration de la dimension urbaine dans l’élaboration des politiques européennes, ou ajoutée en tant que disposition dans le cadre de la loi européenne sur le climat.

L’année 2050 peut sembler encore lointaine, mais nous n’avons pas de temps à perdre si l’UE doit devenir neutre sur le plan du climat d’ici 2050. Ce n’est qu’en rompant avec ses habitudes, c’est-à-dire en accélérant le processus décisionnel, tout en faisant véritablement des villes des acteurs clés pouvant participer sur un pied d’égalité à l’élaboration des politiques européennes dans ce domaine, que l’UE aura une chance d’atteindre cet objectif ambitieux d’ici le milieu du siècle.

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