« La réponse au changement climatique doit être collective »

Que peuvent nous enseigner 6 villes qui conçoivent leur transition énergétique avec les citoyens


Si les collectivités locales entendent atteindre la neutralité climatique, c’est l’ensemble de leur ville qui doit se mobiliser. En effet, les services municipaux en eux-mêmes ne sont responsables que de 5 à 15 % des émissions de leur ville. Aussi, dans le cadre de leurs projets de neutralité climatique, les administrations municipales ne doivent-elles pas se limiter à la décarbonation de leurs propres infrastructures. Une ville véritablement ambitieuse est celle dont le plan s’attaque aux 85 à 95 % d’émissions restants. Un plan qui, dès sa conception, implique tout le monde : entreprises privées, prestataires de services, universités, associations à but non lucratif et citoyens.

C’est ce principe qui a conduit six villes européennes à rejoindre le projet TOMORROW il y a maintenant trois ans : Brașov en Roumanie, Brest en France, Dublin en Irlande, Mouscron en Belgique, Niš en Serbie et Valence en Espagne. Leur objectif : concevoir une feuille de route 2050 vers la neutralité climatique au côté de la population et des principales parties prenantes de leur ville. Elles s’inspirent de processus innovants de participation citoyenne bien connus de deux villes, à savoir Leuven 2030 et le « Grand Débat » de Nantes.

La réponse au changement climatique doit être collective.

Glen Dissaux, vice-président du plan climat de Brest Métropole

Trois ans plus tard, le projet est arrivé à son terme. Les six villes, désormais dotées de feuilles de route issues de co-créations, ont bien changé. Dublin et Valence visent désormais la neutralité climatique d’ici 2030, et non plus 2050. En effet, elles ont été retenues pour la mission européenne 100 villes intelligentes et climatiquement neutres d’ici à 2030. Brașov et Brest ont revu à la hausse leurs engagements envers la Convention des Maires pour 2050. Enfin, Mouscron et Niš ont radicalement changé la façon dont leurs administrations abordent la transition énergétique, en dépit du manque ponctuel de soutien politique.

Que s’est-il passé au cours de ces trois années pour que de tels changements aient lieu ? Comment les efforts de ces villes pour impliquer l’ensemble de la population se sont-ils traduits par des ambitions renouvelées et plus élevées ? Et surtout, que peuvent apprendre les autres villes de leur expérience ?

Pourquoi une réponse collective est essentielle

Pour fonctionner, les changements souvent radicaux qu’exige la transition nécessitent un soutien collectif. En Serbie, la ville de Niš a souhaité rejoindre le projet TOMORROW après avoir subi un retour de bâton et des protestations massives suite à une première tentative de passage à un système de chauffage basé sur la consommation. Dès lors, la ville savait que la réussite de son plan d’action en faveur des énergies durables reposerait sur l’implication de la population dès les premières étapes du processus décisionnel. Un élément clé pour toute ville qui s’efforce de mettre en œuvre une transition juste et inclusive.

Il ne s’agit pas seulement de communication, mais de participation et de nouvelles formes de gouvernance : il faut s’assurer que la population prenne part à la transition, non pas dans une dernière étape, lorsque l’on communique en fin de parcours, mais dès le début. Il faut l’impliquer dans le processus, dès la définition des actions de la ville. 

Alejandro Gómez, Valencia Clima i Energia  

Dublin a rapidement compris qu’il y avait un fort désir de participation à la transition de la part de sa population. En 2021, l’agence de l’énergie de Dublin a organisé une enquête pour connaître l’avis du public sur la manière de tourner la page des combustibles fossiles. L’enquête a recueilli plus de 1000 réponses de personnes qui vivent et travaillent à Dublin. 65 % des personnes interrogées ont déclaré souhaiter des initiatives qui « permettent aux personnes qui vivent et travaillent à Dublin de discuter, de proposer et de voter des actions à présenter aux autorités locales et au gouvernement national ».

Stratégies pour impliquer les citoyens : événements de quartier, cartes postales, fresques et sites web interactifs

Pour impliquer ses citoyens, Brașov a organisé des groupes de discussion lors de la première édition du Green Cities Forum. Elle a ainsi recueilli la vision des habitants pour leur ville en 2050. À sa grande surprise, et pour son plus grand plaisir, leurs idées s’alignaient sur les principales actions que la ville a définies lorsqu’elle travaillait  la révision de son plan d’action.

Dans le même esprit, suivant sa stratégie d’engagement, Valence a lancé un événement intitulé  « Mi Barrio en Transición » (Mon quartier en transition). Cet événement rassemble les habitants d’un même quartier pour qu’ils expriment leurs idées et leurs souhaits pour une ville débarrassée des énergies fossiles.

Mouscron et Brest ont également recueilli les idées de leurs citoyens lors d’événements publics. Ainsi, Mouscron a organisé une soirée storytelling et un forum participatif. Et pendant l’événement « Village Climat Déclic » de Brest, les initiatives et actions locales ont été présentées à l’intérieur d’un « éco-village » étonnant. Brest a également invité ses citoyens à apporter leurs idées en peignant une grande Fresque du climat.

À Dublin, Codema a créé la marque Zero Together (par le biais de laquelle elle a lancé son enquête) comme pilier de sa stratégie. Récemment, Zero Together a mené une campagne pour recueillir la vision des habitants d’un Dublin sans énergies fossiles au moyen de « cartes postales » envoyées depuis une année 2050 imaginée.

Codema développe actuellement un site web Zero Together sur lequel les habitants et les entreprises de Dublin peuvent s’engager et s’impliquer. Parallèlement, Mouscron avait lancé un site web participatif sur lequel les citoyens peuvent ajouter leurs initiatives à une carte des projets citoyens pour la transition. Valence est également en train de créer le sien, pour créer une unité autour de sa mission pour 2030 et guider les habitants vers des actions collectives qu’ils peuvent entreprendre pour le climat.

Un besoin d’ouverture : repenser la gouvernance interne pour un meilleur engagement

Première étape pour parvenir à la mobilisation collective : mettre en place une équipe transversale au sein de votre administration municipale. Afin d’élaborer les solutions transversales nécessaires à la lutte contre les changements climatiques, les villes doivent d’abord repenser leur modèle de gouvernance. Ainsi, la mise en place d’une équipe transversale est la première recommandation du Guide méthodologique sur la gestion de la transition résultant du projet.

Découvrir les bases pour monter une équipe de la transition.

Et de toute évidence, cela fonctionne. Soulignons qu’à la fin du projet, les six villes ont cité leur équipe de transition comme l’une des principales, sinon la plus grande, réalisations. Ce n’est peut-être pas le résultat le plus flamboyant, le plus visible. Mais c’est bien celui qui a le plus d’impact sur le long terme, car cela change de façon permanente la façon dont chaque ville gère sa transition.

En apprendre plus sur les changements apportés aux villes par les équipes de la transition.

Feuilles de route 2050 : voir à long terme pour élargir le champ d’action

Naturellement, l’une des principales missions des équipes de transition était de mener le processus de co-création de la feuille de route 2050. Pour ce faire, les équipes de transition ont dû définir des visions ambitieuses et « radicales » concernant l’avenir de leurs villes.

En apprendre plus sur cette approche dans notre guide méthodologique.

Ainsi, l’équipe de transition de Dublin a dû penser au-delà du domaine du possible. Elle a mené des activités de visualisation par le biais de la méditation guidée et de la modélisation créative de sa future ville (en argile !). Pousser l’équipe hors de sa zone de confort pour libérer sa créativité lui a permis de sortir des sentiers battus.

Nous n’aurions pas parlé de 2050 sans le projet TOMORROW. Si tout le monde n’a pas pris part à la planification, il est difficile de dire aux gens ce qu’ils doivent faire. Parler de 2050 a permis de discuter les idées les plus folles et de chercher d’autres moyens de financement, des sources différentes, d’identifier les lignes de financement et les nouveaux fonds. 

Leea Mihaila, ABMEE, Brasov

Découvrir les feuilles de route des villes ici, fruit de 3 ans de travail !

De la vision à l’action : convaincre les acteurs clés

En sortant des sentiers battus, les villes obtiennent une vision globale et totale. Les équipes de transition savent dès lors à qui s’adresser, de quelle manière, et à quel moment. L’étape suivante consiste alors à obtenir l’adhésion de l’ensemble des acteurs.

Brest Métropole y est parvenu en élaborant une charte d’engagement auprès des parties prenantes du territoire. Elle a également créé des coalitions de différents acteurs autour de thèmes spécifiques (mobilité, gestion des déchets, énergie, etc.). Enfin, elle a lancé des appels à microprojets citoyens. Ces actions ont fait émerger des coalitions transversales, entraîné une plus grande implication des municipalités, et vu la naissance d’initiatives inspirées d’autres projets citoyens. Pour consolider ces efforts collectifs, Brest Métropole a organisé une CP – Conférence des parties – locale en novembre 2022.

Lorsque Valence a postulé pour devenir ville de la mission européenne, elle s’est appuyée sur les processus lancés au cours de TOMORROW pour renforcer sa candidature. Les tables rondes transversales sur la transition (c’est-à-dire leurs équipes de transition) ont aidé à organiser l’ensemble de la ville autour de la mission de Valence pour 2030. Grâce à leurs précédents efforts d’engagement, les habitants savaient que Valence prenait au sérieux la neutralité climatique. Et ses ambitions élevées ont motivé davantage de personnes à s’impliquer. Ainsi, après avoir réussi à devenir ville membre de la mission, elle a pu étendre cet engagement et créer une Alliance pour la Mission Climat. Les entités membres, les citoyens, les ambassadeurs des organisations et les personnalités influentes qui font partie de l’Alliance témoignent de l’ampleur du soutien apporté à la Mission Climat.

De façon similaire, Dublin utilise son initiative Zero Together pour impliquer les entreprises et les principales parties prenantes. Lors de la semaine d’action pour le climat de Dublin en 2022, Codema a co-organisé un événement avec Patagonia pour présenter le plan directeur de transition énergétique de Dublin à un large éventail d’entreprises. Il s’agissait d’une première étape importante pour inciter les entreprises à rejoindre le mouvement Zero Together en tournant la page des combustibles fossiles.

Engagement politique : un pilier essentiel

Évidemment, tout cela n’aurait pas été possible sans engagement politique. Il s’agit d’un élément essentiel pour tout type de processus d’engagement en faveur de la transition. L’absence d’un tel soutien peut grandement compliquer les choses. Niš le prouve, elle qui a vu tout soutien politique disparaître après les élections locales, à mi-chemin du projet. Un véritable obstacle à tout travail et action que l’équipe de transition voulait mener à bien.

Dès le début, Valence a veillé à ce que le cabinet du maire soutienne et même dirige une partie des efforts. Le processus d’engagement en a été grandement facilité. C’est aujourd’hui le principal conseil que Valence donne aux autres villes qui s’engagent dans une telle démarche : il faut s’assurer de bénéficier d’un soutien au niveau politique dès le départ.

L’ambition politique est également le premier pilier des recommandations du projet à l’intention des décideurs locaux. Le maire de Brașov, Allen Coliban, sert d’exemple et d’inspiration à cet égard. Il a renouvelé les engagements de la ville dans le cadre de la Convention des Maires 2050 et a assumé un objectif plus ambitieux de réduction des émissions de 55 % d’ici 2030. Cette ambition motive les différents membres de l’équipe de transition à redoubler d’efforts.

Découvrir nos recommandations pour aider les autorités locales à devenir des leaders de la transition.

Au bout du compte, c’est le soutien politique qui permet à ces processus de se concrétiser. Car, une fois le projet terminé, la question urgente est de savoir comment intégrer ces visions et perspectives collectives dans la politique locale. Cela ne peut avoir lieu que si les politiciens approuvent la feuille de route 2050 et l’intègrent dans les plans d’action des villes. Et sur le long terme, ils doivent s’engager à travailler avec l’équipe de transition, pour que les contributions des citoyens et des parties prenantes participent de l’évaluation et de la révision des plans d’action.

À vous !

Bien sûr, une réponse collective n’est pas chose aisée. Les villes du projet TOMORROW ont dû faire face à de nombreux défis et incertitudes, et ce n’est pas fini. Néanmoins, elles sont sur la bonne voie.

Il doit y avoir une part d’incertitude, sinon cela signifie que vous allez déjà dans le mur

Katie Harrington, Codema, Dublin

Les dirigeants et décideurs locaux sont en première ligne de la crise climatique. Ils sont également bien placés pour mobiliser tous les habitants de leur ville face à cette crise. Et pour faire une réelle différence.

La lutte mondiale contre les changements climatiques commence donc par la conception par chaque ville de processus participatifs au niveau local. La méthodologie du projet TOMORROW peut servir de modèle, en vous aidant à suivre les traces de Brașov, Brest, Dublin, Mouscron, Niš et Valence.

Découvrez l’ensemble du projet TOMORROW, de ses ressources clés, des principales réalisations des villes, et du contenu pour aller plus loin, dans le rapport final ! Vous y trouverez les principaux enseignements du projet et les conseils de chaque ville pour démarrer vos propres processus d’engagement.

Lire le rapport final du projet TOMORROW et revoir la conférence de clôture pour en apprendre plus sur le projet.

Tomorrow Final Report Cover

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