LA TRANSITION DES COMMUNS : MUTUALISER LES RESSOURCES


À propos

Date de publication

26 juillet 2017

par Béatrice Karas le 26 juillet 2017 / 1176 visites

Entretien avec Michel Bauwens, Président de la Fondation pour les alternatives P2P

M. Bauwens, à partir de mars 2017, vous avez commencé à accompagner la ville de Gand en Belgique dans un projet de « transition des communs ». A l’heure où les villes européennes de toutes tailles s’attèlent à dessiner leur futur à l’horizon 2050, pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet en particulier ? En quoi interagit-il avec les démarches existantes de plans climat et transition énergétique ?

La question clef de la transition énergétique et climatique est la suivante : dans quelle mesure est-ce que le changement nécessaire est compatible avec les structures dominantes et la suprématie d’une forme de marché que l’on peut considérer trop extractive par rapport aux ressources naturelles et à la nature ? Une des réponses est que nous devons nous tourner de plus en plus vers des formes de mutualisation, c’est-à-dire de communs. Mutualiser les ressources a des effets très importants pour réduire l’utilisation de matières et d’énergie dans nos sociétés, et a constitué historiquement la réponse pour des civilisations en crise.

Les communs sont des ressources partagées, gérées de manière participative par leurs communautés d’usagers, et selon les normes de ces communautés. On est donc ni dans une dynamique étatique, ni de marché. Or, nous constatons partout une résurgence des communs, d’abord dans le monde de l’immatériel, par exemple à travers la mise en commun de connaissances, mais également de plus en plus par rapport aux biens de la ville. Pensons à la règlementation sur les communs à Bologne et dans déjà 140 autres villes italiennes, où les citoyens peuvent proposer de prendre en main des ressources urbaines avec l’accord et le soutien des autorités locales. Le projet à Gand consiste d’abord à cartographier les communs de la ville (nous savons déjà que le nombre d’initiatives à décupler en dix ans, grâce à une étude du think tank Oikos), à définir les ressources partagées, à demander aux citoyens quel soutien ils attendent de la politique urbaine, et finalement, important dans le contexte actuel, s’il est possible de relocaliser la production alimentaire et industrielle dans et autour de la ville.

D’après le témoignage de plusieurs de nos villes membres, un des axes fondamentaux pour une transition énergétique juste et l’atteinte de l’objectif d’approvisionnement 100 % énergies renouvelables réside en grande partie dans les mécanismes de solidarité entre territoires, entre espaces urbains et ruraux. Quelles recommandations adressez-vous aux villes qui se lancent dans de telles démarches ?

Nous vivons aujourd’hui une crise combinée de l’État et du marché pour résoudre la nécessaire transition énergétique et écologique. La ville est beaucoup plus proche des habitants, et beaucoup de citoyens sont de plus en plus engagés dans des initiatives de transition citoyenne. 
A mon avis, il faut créer des “plateformes d’émancipation pour le développement durable” par tous les systèmes de production des biens de première nécessité, c’est-à-dire l’alimentation, l’habitat, la mobilité, etc. Ces plateformes doivent réunir les acteurs de la transition, pour aider à transformer les techniques extractives en approche génératives, et doivent conseiller la ville dans ses politiques de transition. Mais il serait absurde de faire tout cela de façon isolée ! Il faut donc créer des structures transnationales et transurbaines, selon l’adage, “mobiliser de façon globale, expérimenter au niveau local et diffuser de manière virale !”.
Les villes doivent s’inter-organiser pour soutenir la construction de ces nouvelles infrastructures, qui doivent être ouvertes et partagées. On retrouve cette approche dans le projet Fab City et le Barcelona Pledge, ou déjà 16 autorités locales se sont engagées à rapatrier 50 % de la production alimentaire et industrielle dans la ville. Le nouvel adage n’est ni le protectionnisme à la Trump, ni le néolibéralisme destructif, mais la règle : “tout ce qui est léger est global, tout ce qui est lourd est local”. Nous appelons cela l’approche cosmolocale, ou encore la “subsidiarité de la production matérielle”.


Michel Bauwens est le créateur de la Fondation pour les alternatives Peer-to-Peer et travaille en collaboration avec un groupe mondial de chercheurs dans l’exploration de la production par les pairs, la gouvernance et la propriété.
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© photo : P2P Foundation