Le futur à l’épreuve de l’accélération

Rencontre avec Carine Dartiguepeyrou


À propos

Date de publication

29 mai 2017

Carine Dartiguepeyrou, politologue et prospectiviste, accompagne les institutions privées et publiques dans leur changement de paradigme et l’élaboration de leurs visions d’avenir. Son dernier livre s’intitule « Le futur est déjà là ». 
Elle est intervenue à la conférence d’Energy Cities à Stuttgart sur le sujet « Quel avenir pour la transition écologique dans un monde en accélération ? ».

On vit dans une ère de rapidité et d’instantanéité. Comment cette accélération impacte-t-elle l’action publique ? Est-ce possible pour une collectivité locale de résister à cette « dictature de l’urgence » ?

A ma connaissance, personne mieux que le philosophe et sociologue allemand Hartmut Rosaa explicité l’accélération propre à notre époque. Les technologies de l’information et de la communication jouent un rôle déterminant, mais comme toutes les techniques, elles nous libèrent et nous asservissent à la fois. Aujourd’hui, il faut aller vite, quoi qu’il arrive. Or le rapport au temps n’est pas homogène, il diffère selon les personnes et leurs psychologies.

Ce que j’ai essayé de montrer, c’est que l’étude du temps long, intrinsèquement liée à la durabilité comme beaucoup d’enjeux complexes et intergénérationnels, nécessitent d’articuler les différentes temporalités : long, moyen et court termes. Or, très souvent, on est soit dans un temps long hors sol, en suspens, soit dans une action, court-termiste, qui s’agite, plutôt que de contribuer à une vision à long terme. Mon message est pourtant simple, et la prospective peut y aider : nous avons autant besoin de visions à long terme que d’actions à très court terme pour faire advenir la transition écologique. Il nous faut penser de manière libre, en nous libérant des préjugés et en redonnant du temps à l’élaboration du sens, tout en arrivant à intervenir dans l’urgence, de manière rapide et efficace, pour enrayer les dérèglements écologiques de toute sorte.

L’action publique comme l’action dans le domaine privé est concernée par cet enjeu. Il me semble cependant que l’action publique a un obstacle de plus, celui qui nécessite de prendre en compte l’alternance politique et de trouver une raison d’être dans une conduite des politiques qui transcende le partisanisme. L’élu local dépend de l’administration pour mettre en place sa politique. C’est là, selon moi, la réelle difficulté de l’élu. Trouver de l’adhésion, de l’envie de faire dans le corps administratif pour relayer et déployer de manière durable sa politique. Le politique a besoin de temps pour œuvrer et inscrire dans le marbre des réformes de longue haleine.

Les initiatives en faveur d’un nouveau savoir-vivre culturel foisonnent de toute part. Face à ce mouvement, quelle peut être la posture d’une collectivité qui souhaite mener la transition énergétique ?

La collectivité qui souhaite mener la transition énergétique a besoin de décliner le nous « institutionnel », à savoir la déclinaison du volet règlementaire. Elle doit aussi entrer en résistance, pour pallier les déficiences nationales en repérant les acteurs de changement du territoire et en s’appuyant sur eux, sans les instrumentaliser. 
Nous sommes là face à un nouvel enjeu, celui d’établir de nouvelles formes de partenariats qui reposent sur la confiance, un respect mutuel, une forme de soft power, pouvoir d’influence subtil. Est-ce possible ? Il me semble que cette piste n’est pas utopiste dès lors où les personnes agissent comme des êtres responsables et non sous le joug de dominations ou de rapports de force destructifs, dès lors où elles agissent avec leur intelligence rationnelle, mais aussi émotionnelle voire de sens. Cela nécessite de se mettre d’accord sur un objectif et d’agir pour soi et pour la communauté d’acteurs avec empathie. Cela implique la conscience et l’émergence d’un « nous partagé » qui donne envie d’agir ensemble durablement.

www.carinedartiguepeyrou.com