Les autorités locales ne sont pas suffisamment prises en compte dans les politiques nationales d’énergie et de climat

Les maires appellent au dialogue afin de mettre villes et États membres sur un pied d'égalité


Il ne fait aucun doute que les autorités locales sont essentielles pour atteindre les objectifs nationaux et européens en matière d’énergie et de climat. Mais pour la prise de décisions au niveau national, les autorités locales sont souvent oubliées et négligées. Des représentants de la Commission européenne, des agences nationales de l’énergie et des élus locaux se sont tous accordés, une fois de plus, sur un point: les États membres n’ont pas suffisamment impliqué le niveau local dans le processus d’élaboration de leurs plans nationaux pour l’énergie et le climat (PNEC). Cela laisse une marge d’amélioration considérable dans la version actualisée de ces plans, dont le premier jet est attendu en juin 2023 et la version finale en juin 2024.  

C’est précisément ce à quoi entend s’atteler le projet NECPlatform dans 6 États membres, à savoir la Bulgarie, la Croatie, la France, l’Italie, le Portugal et la Roumanie. Le projet NECPlatform project (financé par le programme européen LIFE) offrira un soutien aux six États membres participant au projet pour la mise en place de discussions efficaces à plusieurs niveaux, lors de la mise à jour de leurs PECN d’ici juin 2024 – des dialogues qui pourraient être reproduits par les autres États membres par la suite.  

Quelle est l’importance?

Nous, les villes et les maires, sommes le moteur de la transition.

Tanya Hristova, maire de la ville bulgare de Gabrovo, le 18 octobre dernier lors du forum d’investissement de la Convention des Maires

A l’occasion de la semaine européenne des régions et des villes à Bruxelles, cinq élus locaux de Belgique, de Bulgarie, de Croatie, de Pologne et du Portugal – dont Tanya Hristova – avaient lancé le projet aux côtés de représentants de la Commission européenne et d’agences nationales pour le climat. 

En toile de fond : l’UE appelle à une plus grande coopération entre le niveau local et le niveau national 

 Il convient de reconnaître clairement que les partenaires locaux et la société sont essentiels pour développer et mettre en œuvre la planification locale, de même que nos objectifs en matière d’énergie et de climat, et pour assurer une transition équitable.

Johannes SCHILLING, chef adjoint de l’unité Politique énergétique à la Direction générale de l’énergie de la Commission européenne.

Le décor est planté par l’orateur européen Johannes SCHILLING, chef adjoint de l’unité « Politique énergétique » à la Direction générale de l’énergie de la Commission européenne, qui a présenté le contexte et le cadre législatif européen, lequel instaure une gouvernance multiniveaux. Institués par le règlement sur la gouvernance de l’Union de l’énergie et de l’action pour le climat, les plans nationaux en matière d’énergie et de climat sont un élément essentiel de la gouvernance de l’Union de l’énergie et contribuent à aider l’UE à atteindre la neutralité climatique.

L’article 11 de ce règlement exige en effet que les États membres mettent en place des dialogues multiniveaux avec les collectivités locales et autres parties prenantes pour débattre des politiques énergétiques et climatiques qui seront intégrées dans leurs plans nationaux. Une évaluation des premiers PNEC rédigés en 2019-2020 avait montré que ces dialogues n’étaient pas assez exploités.

…[Les États membres sont] invités à exploiter davantage le potentiel des dialogues multiniveaux sur le climat et l’énergie, en collaborant activement avec les autorités régionales et locales, les partenaires sociaux, les organisations de la société civile, le monde des entreprises, les investisseurs et autres parties prenantes concernées, et en discutant avec eux des différents scénarios envisagés dans le cadre de leurs politiques énergétiques et climatiques.

Évaluation à l’échelle de l’UE des plans nationaux en matière d’énergie et de climat / Communication de la Commission européenne (2020)

Par ailleurs, M. Schilling a également souligné combien le contexte actuel et la crise énergétique ont encore accentué la nécessité d’une réponse coordonnée entre les différents niveaux de gouvernance, à un moment où les pays européens s’emploient à réduire de toute urgence la consommation et la demande locales, à rapidement diversifier leur approvisionnement énergétique et à accélérer la transition énergétique.

Il a ensuite cité en exemple quelques contributions essentielles des acteur·rices locaux·ales à la transition qui devraient être reprises et mises en avant dans les plans nationaux, des communautés énergétiques à l’accélération des procédures d’autorisation en passant par la cartographie des zones propices au développement des énergies renouvelables. 

La réalité : les maires sont en première ligne mais peinent à faire entendre leurs voix au niveau national 

Après l’introduction de M. Schilling, cinq élu·es locaux·ales ont présenté les contributions directes de leurs villes à la transition et les raisons pour lesquelles celles-ci devraient être prises en compte. 

Nous, les gouvernements locaux, sommes parfois plus courageux que nos gouvernements nationaux

Tanya HRISTOVA, maire de Gabrovo en Bulgarie et membre du Comité des régions.

Tanya HRISTOVA, maire de Gabrovo en Bulgarie, a expliqué comment les collectivités locales prennent des engagements plus audacieux et ont des ambitions climatiques plus élevées que les gouvernements nationaux . Sa ville, par exemple, fait partie de la mission des 100 villes et plus qui visent à atteindre zéro émissions nettes d’ici 2030. Pour que la transition soit juste, Mme Hristova recommande de réorienter les fonds de la transition vers le niveau local, car les responsables locaux·ales sont les mieux placé·es pour écouter les voix des citoyen·nes et aider les plus vulnérables.

Ce projet NECPlatform peut véritablement faire bouger les choses et mettre en place un autre type de trilogue entre UE, niveau local et niveau national, afin que nous, élu·es du niveau local, sentions que notre travail est respecté et pris en compte.

Joško KLISOVIĆ, président de l’assemblée de la ville de Zagreb et membre du Comité des régions.

 Joško KLISOVIĆ, président de l’assemblée de la ville de Zagreb, déplore que les dialogues multiniveaux qui existent en Croatie restent, pour le moment, très unilatéraux. Le gouvernement national croate vient occasionnellement consulter les villes sur des points importants de politique nationale, mais il n’existe aucun canal permettant aux villes de faire entendre leurs idées et leurs propositions au niveau national. Il n’y a pas non plus d’efforts pour établir un dialogue sur une base plus régulière. Pour M. KLISOVIĆ, ce n’est pas la bonne solution : les collectivités locales devraient être impliquées dès la phase d’élaboration des politiques, lors du processus de brainstorming, car c’est au niveau local que ces politiques seront ensuite mises en œuvre. 

Au Portugal, il existe un processus de consultation, mais il n’y a pas de cadre de dialogue structurel entre le niveau national et le niveau local. Ces deux niveaux doivent travailler ensemble et partager les responsabilités.

Ricardo RIO, maire de Braga, Portugal et membre du Comité des régions

Ricardo RIO, maire de Braga, au Portugal, se fait l’écho de la déclaration de M. KLISOVIĆ. Au Portugal, le gouvernement national consulte également les collectivités locales, mais ne dispose pas non plus d’un cadre de dialogue structurel. C’est dommage, car la ville de Braga a beaucoup à apporter à la transition, de son expérience de la mobilité verte aux guichets uniques alimentés par l’énergie solaire, en passant par les laboratoires de connaissances produisant de nouvelles technologies. Si les initiatives de la ville recevaient davantage de soutien et pouvaient être étendues au niveau national, ces contributions pourraient grandement contribuer à enrichir les PNEC.   

Les villes doivent être activement impliquées dans le processus législatif. Savez-vous pourquoi ? Parce que nous savons ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.

Tine HEYSE, adjointe au maire de Gand en charge du climat, de l’environnement, de l’énergie et du logement.

En Flandre, il existe déjà quelque chose qui constitue un premier pas dans la bonne direction : le Pacte flamand. Tine HEYSE, adjointe au maire de Gand en charge du climat, de l’environnement, de l’énergie et du logement, estime que ce pacte est un bon début car il soutient le niveau local en lui fournissant des moyens financiers pour mettre en œuvre ses projets. Mais pour elle ce n’est pas suffisant. Les collectivités locales devraient également être impliquées dans le processus législatif, car ce sont elles qui sont sur le terrain et mettent en œuvre ces politiques au quotidien.

Elle cite l’exemple du guichet unique de Gand pour la rénovation des logements. Forte de ses années d’expérience à traiter directement avec des citoyen·nes venu·es chercher de l’aide et des conseils pour rendre leur logement plus performant sur le plan énergétique, Tine Heyse a bien conscience des difficultés et des obstacles à la transition, ainsi que de ce qui pourrait constituer des cadres favorables, lorsqu’il s’agit de rénover des bâtiments.

 Le message que nous devons envoyer aux niveaux national et européen est que rien ne pourra se faire sans les villes et les régions. Si vous ne nous impliquez pas et ne trouvez pas les moyens de nous financer, nous ne pourrons atteindre  aucune priorité.

Rafał TRZASKOWSKI, maire de Varsovie, président de la commission ENVE du Comité européen des régions et membre du conseil d’administration de la Convention des Maires – Europe.

Rafał TRZASKOWSKI, maire de Varsovie, ramène la conversation là où Johannes Schilling l’avait laissée : à la crise actuelle. A l’instar de la COVID 19 et de la crise des réfugiés ukrainiens, la crise actuelle dépasse les compétences des collectivités locales, mais pèse lourdement sur leurs épaules. Parce qu’elles sont les premières à devoir répondre à ces crises, les villes se mobilisent pour mettre en œuvre des solutions concrètes et immédiates pour venir en aide aux citoyen·nes. Dans ces circonstances, les gouvernements nationaux doivent non seulement soutenir les villes en leur accordant la confiance et les ressources nécessaires, mais ils doivent également coopérer pour leur faciliter la tâche et supprimer les obstacles. Il en va de même pour la réponse à la crise climatique. Les villes se sont fixé des objectifs ambitieux pour mener à bien la transition, et elles ont besoin que les gouvernements nationaux travaillent avec elles et les aident à mettre en œuvre cette transition sur le terrain.

A titre d’exemple, Rafał TRZASKOWSKI a cité la désorganisation manifeste de la stratégie polonaise en matière de chauffage : alors que la capitale reçoit des aides pour financer des pompes à chaleur au lieu de chaudières à gaz, le gouvernement national finance des systèmes hybrides et a récemment changer de cap pour importer du charbon. Non seulement cela entrave les efforts des villes, mais cela sape également les ambitions globales de l’UE.

Un paradoxe s’impose : alors que l’on attend des villes qu’elles soient aux commandes de la transition, on ne leur accorde pas un rôle suffisamment important ni les ressources nécessaires pour conduire réellement cette transition.

Au vu de la façon dont tout cela fonctionne aujourd’hui, nous n’exploitons pas pleinement les synergies entre collectivités locales et autorités nationales.

Bruno VELOSO, vice-président de l’ADENE (présidence 2022 du réseau européen de l’énergie).

Au-delà de ces expériences locales, Bruno VELOSO, vice-président de l’Agence portugaise de l’énergie ADENE, a confirmé le manque de coopération entre collectivités locales et autorités nationales. Il a souligné que pour que ce dialogue ait lieu, les agences nationales de l’énergie ont un rôle essentiel à jouer, car elles peuvent toucher les collectivités locales et les parties prenantes plus rapidement, en assurant la liaison entre elles et les autorités nationales.

La Vision : des plateformes pour assurer une gouvernance multiniveaux continue

Alors, que devons-nous faire maintenant ? De nombreux pays ont mis en place une sorte de dialogue à sens unique et un mécanisme de consultation descendant, mais il est clair qu’il n’existe peu d’exemples probants de plateformes qui faciliteraient une intégration à la fois horizontale et verticale des politiques énergétiques et climatiques. 

Le projet NECPlatform, financé par le premier appel à projets pour des énergies propres du programme LIFE, entend mettre en place et gérer des plateformes permanentes de dialogue multiniveaux sur le climat et l’énergie dans six États membres. Ces plateformes de dialogue rassembleront les parties prenantes concernées, garantissant ainsi la cohérence et la co-création des politiques énergétiques et climatiques à tous les niveaux de gouvernance et avec l’ensemble des secteurs de la société. Chaque plateforme aura pour objectif de promouvoir une plus grande collaboration dans l’élaboration de la législation sur l’énergie et le climat, ainsi que dans la rédaction des PNEC, de leur première version à la version finale mise à jour.

Le projet prévoit également, sur la base des enseignements tirés dans les six pays cibles, de reproduire et de transférer ces modèles de gouvernance dans d’autres États membres.

Revoir l’événement complet ici

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