Les gouvernements de l’UE peuvent donner aux municipalités les moyens d’organiser la sortie du gaz naturel… ou laisser passer l’occasion


Les États membres de l’UE ont le choix : augmenter les risques liés aux actifs gaziers échoués, le coût de la distribution du gaz et les dépenses liées à la transformation du système énergétique ou donner aux municipalités les moyens de planifier correctement les infrastructures dans le cadre de la révision de la directive européenne sur le marché du gaz.

Le mois dernier, le Parlement européen a proposé que les gestionnaires de réseaux de gaz se conforment aux plans de décarbonation du chauffage et de la climatisation des autorités locales lors de la planification des infrastructures gazières. Il s’agirait d’un mandat inédit pour les collectivités locales de l’UE. Toutefois, le Conseil européen semble réticent à les laisser s’immiscer dans les affaires des gestionnaires de réseau. Voici quatre raisons pour lesquelles les gouvernements de l’UE devraient reprendre à leur compte la proposition du Parlement européen avant le prochain Conseil européen du 28 mars.

Raison n°1 : Nous ne pouvons pas laisser les gestionnaires de réseaux de gaz planifier seuls les infrastructures.

Personne ne veut couper la main qui le nourrit. Alors que tous les scénarios réalistes de neutralité climatique impliquent une réduction drastique de la consommation de gaz naturel, les gestionnaires de réseaux gaziers n’encouragent guère les consommateurs à se déconnecter de leurs canalisations, en particulier dans le secteur résidentiel. L’agence de coopération des régulateurs de l’énergie de l’UE a regretté en décembre 2022 que les opérateurs de réseaux n’analysent pas suffisamment les options de réduction des émissions et de mise hors service des infrastructures gazières dans leurs plans de développement nationaux. L’industrie gazière a une nette tendance à surestimer les besoins d’investissement dans les réseaux et les infrastructures. La ruée sur les terminaux méthaniers depuis un an pour remplacer le gaz russe par du gaz naturel liquéfié (GNL) en est un bon exemple. Une étude indépendante a montré que les scénarios basés sur des mesures d’efficacité énergétique, le déploiement des énergies renouvelables et des solutions de flexibilité peuvent garantir la sécurité d’approvisionnement énergétique à des coûts moindres que les stratégies basées sur des investissements dans des capacités d’importation de GNL.

Raison n°2 : Les réseaux de gaz doivent être redimensionnés pour moins de combustibles gazeux, et non étendus.

Conserver la même longueur de réseaux alors que la consommation de gaz diminue pose une question économique et sociale. Les réseaux de gaz sont principalement financés en proportion des quantités qu’ils transportent : si moins de gaz circule dans les tuyaux, les coûts de distribution pour les consommateurs restants augmentent. Par exemple, dans la ville de Grenoble, les tarifs de distribution ont déjà augmenté de 40 % en 2022 pour compenser la baisse attendue des ventes de gaz. Cette situation va s’aggraver : selon Eurostat, la consommation de gaz naturel dans l’UE a chuté de 19 % au cours de la période août 2022 – janvier 2023 par rapport aux années précédentes. Le démantèlement des parties les moins utilisées du réseau permettrait d’optimiser les coûts et d’éviter une (nouvelle) augmentation de la facture pour les consommateurs. Des municipalités pionnières, comme Winterthur (Suisse), le font déjà.

Raison n°3 : Il est inutile que les collectivités locales développent des stratégies de décarbonation du chauffage si elles n’ont pas les moyens de les faire appliquer.

Parallèlement à la révision de la directive sur le marché du gaz, les institutions européennes révisent la directive sur l’efficacité énergétique. Ce texte rendra obligatoire l’élaboration de plans locaux de décarbonation du chauffage et de la climatisation par les collectivités locales de plus de 45 000 habitants. Cependant, les autorités locales n’auront pas les moyens de les mettre en œuvre si les opérateurs de réseaux de gaz n’ont pas à s’y conformer. Cette absence de mandat dans la planification du réseau est très souvent mentionnée comme un obstacle par les collectivités qui disposent déjà de tels plans. La ville de Vienne, qui participe au projet européen DecarbCityPipes 2050, a publié sa stratégie de sortie du gaz en décembre 2022. Toutefois sa mise en œuvre sera difficile si dans le même temps le gestionnaire de réseau a toujours l’obligation de raccorder de nouveaux clients lorsqu’ils en font la demande, comme le stipule la loi fédérale sur le gaz. Les décideurs nationaux et européens doivent aligner les cadres juridiques.

Raison n°4 : La coordination locale des politiques de décarbonation réduira les coûts et apportera des bénéfices socio-économiques.

Nous ne pouvons pas continuer à planifier séparément les différentes infrastructures énergétiques (gaz, électricité, chaleur). Un ensemble de technologies différentes (pompes à chaleur, chauffage urbain, gaz vert) doit être mis en œuvre au niveau local pour atteindre la neutralité climatique. Les avantages d’une coordination locale de cette transformation sont de plus en plus évidents et documentés. Une étude réalisée par Energy Systems Catapult et UK Research and Innovation suggère qu’un scénario énergétique coordonné au niveau local et entièrement planifié permettra d’économiser 252 milliards de livres au Royaume-Uni par rapport à une approche non planifiée et non coordonnée. Une autre étude réalisée par UK Research and Innovation estime que l’adoption d’une approche prenant en compte les spécificités locales pour atteindre la neutralité climatique permettrait d’économiser 137 milliards de livres en coûts d’investissement et de générer 431 milliards de livres supplémentaires en économies d’énergie et en bénéfices socio-économiques, par rapport à un scénario agnostique dans lequel les mêmes mesures de décarbonation sont adoptées uniformément dans toutes les collectivités du pays.

Les collectivités locales, qui sont les mieux placées pour coordonner la décarbonation, doivent participer à la planification du réseau gazier. Les gouvernements de l’UE ont l’occasion d’éviter des coûts inutiles et des actifs échoués en donnant plus de pouvoir aux autorités locales. Ils ne doivent pas manquer cette occasion.

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