Ne nous racontez pas d’histoires ! Ou plutôt si, mais de belles…

Edito politique par Claire Roumet


À propos

Date de publication

16 décembre 2021

Nucléaire, nucléaire, sur toutes les pages, à toutes les sauces. J’avais déjà cette impression d’être inondée de news sur ce secteur avant de préparer cet édito, mais en voulant approfondir la question, je suis tombée dans un puit sans fond, un abysse !  Le gouvernement belge se déchire encore sur la question de la sortie de cette source d’énergie[i]… Positions inconciliables au Conseil européen pour inclure (ou non) les investissements nucléaires dans la « taxonomie verte » quand le « Premier Vice-Président Exécutif » de la Commission penche clairement en faveur du nucléaire…

Ce qui est affolant est de voir comment le nucléaire obnubile tout le monde, préempte les débats, devient la solution à tous nos problèmes, n’émettant pas de CO2 et ne nous rendant pas dépendant du gaz russe. Le problème se résumerait-il donc aux émissions de CO2 et à la dépendance à la Russie ? Dit autrement : raser la forêt amazonienne au bulldozer électrique suffit-il à considérer le problème de la déforestation comme résolu ?

Le nucléaire fascine

Moi aussi, il me fascine ; il faut dire que je suis tombée dedans quand j’étais petite. Je n’ai pas grandi à l’ombre d’une centrale, mais pas loin. Assez proche pour m’y rendre en sortie scolaire. Pourtant, je ne me souviens pas vraiment de ce que l’on m’en a dit. Je ne crois pas que les connaissances basiques sur les énergies, leur production et leurs usages, aient été au programme d’éducation de mon enfance… Ou alors de manière bien trop fugace pour en comprendre les enjeux, et participer aux débats qui l’entourent.

L’énergie est un arbitrage fin, un débat nécessairement pointu, au cœur duquel les choix dépendent de contextes variés et en mouvement perpétuel. Faire un choix sur la base d’un modèle économique seul, relève de la gageure, tant les prix fluctuent (de la ressource, des technologies…). Toutes les projections sont faites sur des hypothèses hautement « politiques », parce qu’elles résultent d’un choix, d’un parti pris dès le départ. Ainsi, comme l’explique l’excellent article de la revue Médor, les débats belges se font autour d’hypothèses de consommation formulées par le gestionnaire des réseaux Elia, société publique cotée en bourse, qui ne peut être neutre, donc objective. Ses hypothèses divergent par ailleurs de celles du régulateur (CREG)… Ce dernier croit possible l’arrêt des centrales nucléaires sans pour autant avoir recours au gaz. Cela ne veut pas dire que le régulateur a raison (tant les prédictions de consommation peuvent être compliquées), mais cela prouve que les débats ne se font pas sur un constat partagé, ni sur des problématiques qui seraient à minima circonscrites par l’ensemble des parties prenantes. En un mot : pour résoudre le problème, il faudrait déjà se mettre d’accord sur le bout par lequel on souhaite s’en saisir.

Cela ne veut pas dire non plus que ces questions soient trop complexes pour être discutées avec le grand public, au contraire. Les expert‧e‧s n’ayant pas forcément de réponses « parfaites », mais la capacité d’informer des choix à opérer, à travers un débat enrichi de compréhension technique, géopolitique, économique… C’est ce que demandait récemment la Présidente de la Commission du Débat Public (instance française dédiée à la consultation citoyenne autour des projets d’infrastructures), qui s’étonnait d’entendre l’investissement nucléaire annoncé par le Président de la République, sans débat aucun !

Première proposition, donc : faire des choix énergétiques un vrai débat de société, et pour cela, donner à tous et toutes les connaissances minimales qui nous engagent collectivement pour des siècles et des siècles (et ce n’est même pas une image). Et cette éducation populaire doit se baser sur notre quotidien, comme par exemple cette installation de panneaux solaires sur l’école Jean Jaurès en banlieue de Paris qui permet d’ancrer la question énergétique dans le quotidien du quartier.

Mais il y aura plus à faire pour sortir le nucléaire de nos imaginaires, et c’est Alice Zeniter, romancière française, qui en parle le mieux. Nous aurions peut-être adopté un régime végétarien, si la puissance du récit n’avait rendu la chasse tellement séduisante. C’est vrai que raconter la cueillette des airelles, rappelle-t-elle, ne crée pas la même émotion, et les peintures rupestres sont encore là pour témoigner de l’épopée que constitue la poursuite de grands animaux !

Avez-vous déjà vu une œuvre de l’artiste Cécile Massart ? Elle interroge l’invisibilité des risques, de la gestion des déchets et propose des visualisations. C’est percutant ! Elle ne se positionne pas pour ou contre cette source d’énergie, mais sur la place qu’elle prend, ou ne prend pas (déchets invisibles) dans nos sociétés. Ce ne sont pas les grottes de Chauvet que nous laissons pour les 30 000 prochaines années, mais des blocs de ciments radioactifs enterrés au plus profond de l’écorce terrestre comme le raconte Etienne Davodeau dans sa balade dessinée intitulée « Le droit du sol ».

En bref, le nucléaire fascine comme les bisons, et cette capacité d’imprimer nos imaginaires interroge de nombreux‧ses artistes. Il semble que la puissance du récit balaie toujours plus loin les argumentaires rationnels, et répondre que les énergies renouvelables sont en toutes circonstances une meilleure solution ne nous fera pas gagner la bataille.

Ma deuxième proposition est d’écrire de belles histoires. Il nous faut un beau, un grand récit, un récit si grand qu’il fera de l’ombre aux centrales nucléaires.

A vos plumes !


[i] Comme détaillé dans mon dernier édito, pour information la décision sur le prolongement de l’utilisation des centrales au-delà de 2025 devait être prise fin novembre, mais l’hystérisation des débats la repousse sinedié…