PAMPELUNE : COMMENT LA VILLE A-T-ELLE REPRIS L’ÉNERGIE EN MAIN ?


À propos

Date de publication

07 février 2017

Passer d’une gestion privée à une gestion municipale n’est pas chose aisée. Les circonstances qui ont amené les villes à faire ce choix sont variées : insatisfaction vis-à-vis des services fournis par l’entreprise privée, changement de priorités politiques de l’équipe municipale ou pression de la société civile.


A Pampelune, ville de 196 000 habitants du nord-est de l’Espagne, le changement d’orientation vers une énergie renouvelable et décentralisée est devenu un objectif politique clair depuis les élections de 2015.

Armando Cuenca est conseiller municipal en charge de l’écologie urbaine et de la mobilité et membre du parti Aranzadi, soutenu par PODEMOS. Dans un entretien accordé à Energy Cities, il explique les tenants et les aboutissants de cette décision visionnaire. 


Pourquoi la Ville de Pampelune s’est-elle engagée dans cette stratégie de remunicipalisation de son approvisionnement énergétique ?

Je pense que tant les individus que la collectivité ont un droit de regard sur leur avenir énergétique. Notre objectif principal est de renforcer la démocratie énergétique grâce à plus de transparence, plus de justice sociale, et en responsabilisant les habitants afin qu’ils ne soient plus que de simples consommateurs. L’approvisionnement en électricité doit redevenir un service public, avoir une origine 100% renouvelable, être directement raccordé aux sites de production d’énergie locaux, tant privés que publics, et doit contribuer à lutter contre la précarité énergétique.

Quelle est la première étape vers un approvisionnement en énergie totalement géré par la municipalité ? Quelles mesures la Ville de Pampelune a-t-elle prises après avoir adopté cette stratégie du « tout local » ?

La première étape consiste à s’assurer que le projet est viable. Pour cela, il est nécessaire de réaliser une étude de faisabilité qui tienne compte des conditions du marché et de la réglementation énergétique au niveau national. L’étude doit également aboutir à une cartographie des consommations d’électricité dans la ville, évaluer les investissements nécessaires et les coûts d’exploitation, calculer le temps de retour sur investissement et établir les conditions d’une ouverture aux clients privés. Une fois cette étude réalisée, il est important de construire des synergies et de collaborer entre services municipaux, afin de créer une entité juridique ayant pour objet de distribuer l’énergie sur le territoire. Il est également recommandé de demander à des experts en énergie de réaliser une évaluation externe. 
Dans le cas de Pampelune, nous avons collaboré directement avec les coopératives énergétiques produisant de l’électricité verte afin de soutenir le développement de la compagnie municipale.

Remunicipalisation : Est-ce-que tout est sous contrôle (public) ?

Ces quinze dernières années, 235 villes de 37 pays ont repris en main la gestion de l’eau. Un retour sous contrôle public dont ont bénéficié 100 millions de personnes. Paris, Naples, Berlin, Budapest… la liste des villes européennes qui gèrent elles-mêmes le service de distribution de l’eau ne cesse de s’allonger. D’autres services pourraient suivre ce modèle : pourquoi pas l’énergie, autre ressource précieuse dont la distribution est également un service essentiel ? A qui appartient l’énergie et qui en profite le plus ? Le mouvement de reprise en main des services urbains par l’administration publique ne cesse de gagner du terrain et traduit une volonté de renforcer la démocratie énergétique et la résilience des territoires. Toutefois, créer une entreprise énergétique municipale est encore, dans de nombreux pays, réservé à quelques pionniers, prêts à s’engager sur un chemin semé d’embûches et très controversé.

Définition
Le concept de (re)municipalisation fait référence

  • au transfert de propriété d’actifs ou d’entreprises privés sous contrôle public,
  • au passage d’un système de sous-traitance (ou externalisation) à la fourniture directe du service par la collectivité publique,
  • et à la reprise en gestion publique directe des contrats de concession et d’affermage.

Pourquoi revenir sur la privatisation ?
Les raisons qui poussent les municipalités et les citoyens à mettre fin au système de gestion privée des services urbains sont à la fois idéologiques et pratiques. Elles vont du refus général de la toute puissance des grandes entreprises à la volonté de développer une nouvelle approche, plus locale, en matière de production, de distribution et de consommation d’énergie. Beaucoup de conseils municipaux envisagent une gestion municipale de l’énergie après avoir fait l’expérience des écueils des partenariats public-privé : gestion pas toujours transparente visant à engranger des bénéfices au profit de l’entreprise privée, faibles investissements malgré des tarifs élevés pour les consommateurs, priorité donnée aux énergies fossiles, peu ou pas de partage des bénéfices avec la collectivité locale… 
Telles sont les raisons invoquées par les villes pour reprendre en main la distribution de l’énergie.

L’énergie décentralisée, la nouvelle norme en Europe ?
Des compagnies énergétiques municipales opèrent déjà dans de nombreux pays européens, dont la France, l’Allemagne, la Suisse et les pays scandinaves. Selon un rapport PSIRU de 2013, en Allemagne, « entre 2007 et la mi-2012, plus de 60 nouvelles compagnies locales de services publics (Stadtwerke) ont été créées et plus de 190 concessions de réseaux de distribution d’énergie – pour la plupart des réseaux d’électricité – ont été repris en main par les collectivités publiques. Environ deux tiers des communes allemandes envisagent de racheter les sites de production et les réseaux de distribution d’électricité, voire de racheter les parts que les actionnaires privés détiennent dans certaines des 850 Stadtwerke que compte l’Allemagne. » 
Le fait que l’Allemagne soit un État fédéral a certainement joué dans cette tendance. 
Au Royaume-Uni, ce sont les « Big Six », les six grandes entreprises internationales opérant sur le marché de l’énergie, qui sont visées.

©photo : Municipalité de Pampelune, Shutterstock