Panel citoyen : une expérience démocratique intense

Edito politique


En bon anglais bruxellois, nous parlons de « Energy efficiency first principle » et celui-ci doit être appliqué dans toutes les politiques pour que « seule l’énergie réellement nécessaire soit produite, que les investissements dans les technologies inefficaces soient évités et que la demande d’énergie soit réduite et gérée de manière rentable ».

A la demande de sa Présidente, la Commission européenne a organisé un panel citoyen autour de cette question, et s’est engagée à prendre en compte les recommandations produites. J’ai eu la chance de participer en tant qu’experte des politiques énergétiques européennes à cet exercice unique qui s’est terminé ce week-end et je vous livre donc mes impressions à chaud.

150 citoyen·nes européen·nes tiré·es au sort se sont penché·es sur cette question technique pendant trois week-ends. Ce fut une expérience fascinante. Quel instrument puissant, quel potentiel ont ces panels citoyens pour la démocratie !

Je vous laisse découvrir les recommandations produites par ce panel, présentées au Vice-Président de la Commission européenne Maros Sefcovic ce dimanche 14 avril.

Revenons sur le processus

Tout d’abord une évidence, la capacité de citoyen·nes ‘non expert·es’ à immédiatement mettre le doigt sur les enjeux à un niveau très stratégique est totale. Celle également de pointer les incohérences, par exemple, la principale réponse européenne sur les besoins de transport est de proposer l’électrification. Pourtant, tout de suite, l’incohérence de cette option : parce qu’il n’est pas possible physiquement aujourd’hui d’avoir assez de matière pour les batteries, parce que nous n’avons pas maintenant les réseaux, ou encore, parce qu’il n’est pas clair que la production d’un véhicule électrique soit vraiment vertueuse et demande moins d’énergie (prendre en compte le cycle entier de chaque produit) a animé les débats de nombreuses sessions.  Les incohérences des politiques proposées sont immédiatement identifiées.

Un deuxième « enseignement » est la défiance existant envers les institutions politiques. Une participante proposait de donner à la Commission un retour d’expériences sur leur guide « ecodesign » qui contient, semble-t-il, de nombreuses erreurs factuelles. Quelle confiance avoir dans leurs critères d’évaluation s’ils ont un biais ? L’excellente proposition de cette participante était d’ouvrir ces guides (qui sont en général le fruit de négociations inter-gouvernementales et de compromis interinstitutionnels) aux commentaires citoyens. D’être beaucoup plus ouvert et collaboratif dans l’élaboration de la norme.

Je suis interpellée de voir d’où les citoyen·nes ‘non-expert·es ‘ tirent leur connaissance. La première source est le bon sens quotidien qui s’il était mieux soutenu aurait un potentiel de sobriété et d’efficacité immense. Pourquoi, dit le chauffagiste, lui demande-t-on systématiquement de surdimensionner les installations ? Étonnant de voir que l’expert ‘totem’ Jancovici irrigue de son décryptage des politiques énergétiques bien au-delà du cercle des ingénieurs francophones. Tout aussi étonnant, certains concepts parlent à tout le monde comme la ville des 15 minutes. Et puis il y a Bill Gates pour les geeks technologiques…. Cela laisse à réfléchir sur notre façon de communiquer sur les questions énergétiques et ce qu’il reste à investir pour une véritable démocratie énergétique.

Organiser des milliers de panels citoyens

Enfin, dans les débats, sans cesse, la question de la globalisation, des marchés qui ne favorisent que les grands, du rôle joué par l’Europe dans cette dérive qui laisse les acteurs petits, locaux, sans marge d’action, sans pouvoir sur leur choix…c’est bien plus qu’une musique de fond pour les élections européennes c’est vraiment un nœud, que l’Union européenne ne pourra pas ne pas défaire, et donc revoir le cœur de son dogme que le projet européen se construit par le marché.

Pour tous les participant·es, la principale conclusion, est qu’on ne peut faire d’efficacité énergétique sans revoir l’organisation de la société (les temps et lieu de travail, la politique d’habitat, de consommation…) ni notre place dans le monde (on ne peut continuer à extraire des ressources que nous n’avons pas).

Je reste stupéfaite par l’incroyable qualité des débats et la puissance du processus pour créer du consensus, de la décision politique commune. Voilà, nous devons impérativement organiser des milliers de panels citoyens.

C’est ma conclusion.