Plongée au cœur du débat sur l’hydrogène dans nos villes

L’hydrogène est souvent présenté comme la solution ultime pour se débarrasser des énergies fossiles dans le secteur du chauffage et de la climatisation en milieu urbain. Mais est-ce réellement le cas ?


La semaine dernière, lors du webinaire organisé par Decarb City Pipes 2050, Lisa Fischer, Responsable de programme chez E3G a abordé avec des représentants de collectivités locales le rôle de l’hydrogène dans la décarbonisation des villes. L’hydrogène* est souvent présenté comme une solution simple pour se débarrasser des combustibles fossiles actuellement utilisés pour le chauffage et le refroidissement en milieu urbain. Mais la question fait débat parmi les experts en raison des incertitudes et du risque de verrouillage technologique. C’est pourquoi nous vous proposons de décortiquer cet argument point par point.

L’hydrogène est-il performant ?

L’hydrogène vert utilise cinq fois plus d’électricité pour chauffer une habitation qu’une pompe à chaleur. En d’autres termes, la quantité d’énergie renouvelable nécessaire pour faire fonctionner un système de chauffage basse température fonctionnant à l’hydrogène représente 500 à 600 % de la quantité consommée par une pompe à chaleur. En effet, le transport, le stockage et les multiples étapes de transformation et de combustion de l’hydrogène entraînent des pertes importantes.

Richard Lowes, de l’Université d’Exeter, conclut : « Dans toutes les analyses que j’ai pu lire, qu’il s’agisse d’hydrogène ou d’électrification, il faut une bonne efficacité énergétique pour que le projet soit rentable. »

Différence de rendement énergétique entre l’hydrogène vert
et une pompe à chaleur alimentée par de l’électricité verte
Source : LETI hydrogen Report, Source des données : Prof. David Cebon.

L’hydrogène est-il compétitif ?

La compétitivité en matière de coûts est relative et les données doivent être comparées en tenant compte des différentes solutions bas carbone pouvant être utilisées pour chauffer les villes : pompes à chaleur, réseau de chauffage urbain et chaudières à hydrogène. L’analyse des coûts peut en effet grandement varier selon les critères utilisés, comme le niveau de prix de l’hydrogène et de l’électricité, les estimations de températures pour les décennies à venir, les infrastructures, etc.

Des études scientifiques montrent cependant que l’hydrogène n’est pas compétitif pour le chauffage face à des pompes à chaleur aérothermiques dont le coût est d’au moins 50 % inférieur à celui des technologies utilisant uniquement l’hydrogène. L’ICCT affirme même que « même avec un prix du gaz naturel 50 % moins élevé ou un prix de l’électricité renouvelable 50 % plus cher en 2050 par rapport à nos hypothèses de base, les pompes à chaleur restent plus rentables que les chaudières à hydrogène ou les piles à combustible », un point non négligeable compte tenu de la dimension sociale de la transition énergétique.

En effet, comme nous l’avons vu précédemment, les systèmes de chauffage à base d’hydrogène consomment beaucoup plus d’énergie que les pompes à chaleur. Et une grande partie du coût de l’hydrogène vert étant liée au coût de l’électricité, toute baisse du prix de l’électricité renouvelable bénéficie à l’hydrogène, mais également à l’électrification, qui restera donc moins onéreuse.

Par ailleurs, des experts prévoient qu’une utilisation massive de l’hydrogène à des fins de chauffage  entraînerait un doublement des coûts de l’hydrogène. En effet, une production d’hydrogène peinant à satisfaire la demande ne peut que conduire à une concurrence entre les différents secteurs (industrie, chimie, stockage de l’électricité),  et donc à une augmentation des prix.

Ceci étant, les bâtiments non rénovés constituent une exception notable où l’hydrogène peut se révéler plus compétitif. Mais la proposition de Vague de rénovation entend réduire l’énergie utilisée pour le chauffage et les exigences de performance énergétique minimales proposées dans le cadre de la Directive sur la performance énergétique des bâtiments visent à s’attaquer en premier lieu à ces bâtiments peu performants, réduisant à néant ce marché potentiel.

Quelles infrastructures pour une utilisation de l’hydrogène en ville ?

L’hydrogène n’a pas les mêmes propriétés que le gaz naturel. Utiliser 100 % d’hydrogène pour chauffer les bâtiments supposerait de modifier les canalisations amenant le gaz aux habitations, et aux divers équipements dans la maison. Or le réseau de gaz naturel à usage domestique peut utiliser des matériaux très différents. Cela veut dire que pour certaines habitations, le passage à l’hydrogène pourrait se faire très facilement, et ne nécessiterait que de changer la chaudière et le compteur, mais que pour d’autres, il faudrait également changer toute l’installation. Afin de faciliter les travaux de conversion, qui pourraient prendre plusieurs jours par habitation, les entreprises fournissant du gaz proposent déjà des chaudières mixtes pouvant fonctionner à l’avenir avec de l’hydrogène.

La recherche a montré qu’il reste de nombreuses incertitudes à lever et qu’au-delà de l’acceptabilité de l’hydrogène par les propriétaires, « l’inaccessibilité des conduites de gaz naturel à usage domestique peut représenter un sérieux frein à la conversion s’il faut inspecter ou remplacer ces conduites qui sont souvent recouvertes de béton ou passent par des vides sanitaires inaccessibles ».

Une autre limitation concerne la responsabilité et la prise en charge du coût de ces transformations. Par rapport à une électrification ou au gaz naturel, les investissements nécessaires pour une conversion à l’hydrogène présentent plus de risques et une rentabilité moindre car il s’agit d’une technologie qui n’a pas encore fait ses preuves et doit être transposée à plus grande échelle, et en raison des incertitudes liées au coût de l’hydrogène. Des investissements publics supplémentaires au frais du contribuable sont donc nécessaires pour financer ces travaux.

Pour les citoyens, le passage à l’hydrogène se fait-il sans heurt ou est-ce une réelle rupture ?

C’est une question importante qui a beaucoup à voir avec le débat sur les infrastructures soulevé par les compagnies gazières. Selon ces dernières, l’hydrogène offre une solution « à l’identique », le remplacement du gaz naturel par l’hydrogène étant présenté comme une opération indolore et sans effort pour les citoyens. Cet argument non-disruptif a de quoi séduire les responsables politiques. Mais cela reste un peu vague, d’autant que le changement de gaz pourrait avoir un impact sur le montant des factures et nécessiter de changer toute l’installation au domicile des particuliers (chaudière, tuyauteries intérieures, cuisinière, etc.) et sur le réseau (canalisations et compresseurs).

A quand des villes chauffées à l’hydrogène ?

Après analyse des projets et du marché au Royaume-Uni, Centrica, l’un des principaux fournisseurs de gaz, admet qu’il faudra encore attendre plus de dix ans avant de pouvoir produire de l’hydrogène vert pour le chauffage. Alors que les technologies de chauffage urbain et de pompe à chaleur sont déjà disponibles. Attendre que l’hydrogène arrive dans les villes, c’est risquer de créer un terrible effet de verrouillage au détriment d’autres technologies qui pourraient contribuer à la décarbonisation du chauffage.

Face à cette perspective, Jan Rosenow, de l’ONG Regulatory Assistance Project, affirme « Oui pour faire des recherches sur l’hydrogène et mener des projets pilotes, mais c’est un pari risqué que de dire que l’hydrogène résoudra tous nos problèmes en 2040 et ne rien faire entretemps. Je pense que ce serait même irresponsable.”

ANNEXE

* L’hydrogène est propre et n’émet pas de GES lorsqu’il est produit à partir d’énergies renouvelables. Mais l’hydrogène produit à partir de combustibles fossiles, même avec captage et stockage du CO2, ne peut être considéré comme propre, 10 à 20 % des émissions de CO2 ne pouvant être capturées et étant relâchées dans l’atmosphère. C’est pourquoi cet article ne porte que sur des analyses qui comparent l’hydrogène vert à d’autres sources d’énergie renouvelable.