Finances publiques et Transition Ecologique des collectivités en France : Changeons de méthode


Les finances publiques françaises traversent une forte période de turbulence. Après une année 2024 marquée par une forte augmentation du déficit public, le gouvernement s’engage dans une trajectoire de réduction massive et rapide de celui-ci, avec des marges de manoeuvre budgétaires de plus en plus limitées. Cette situation s’accompagne d’une instabilité politique forte, qui rend difficile toute programmation dans la durée.

Pourtant, la crise climatique impose une réponse urgente et la transition écologique entre dans une phase de mise en oeuvre concrète. Le besoin d’investissements bruts supplémentaires pour la planification écologique est estimé à environ 100 milliards d’euros par an d’ici 2030 pour la France. Dans cet effort, les collectivités locales, à travers leurs propres budgets ont un rôle clé à jouer, et qui devra s’intensifier pour atteindre les objectifs nationaux : 11 milliards d’euros supplémentaires par an et en moyenne d’ici 2030 sont nécessaires de la part des collectivités d’après l’Institut de l’Economie pour le Climat (I4CE) et la Banque Postale.

Ces besoins se traduisent dans les plans d’investissements des villes françaises engagées dans la Mission « Villes intelligentes et climatiquement neutres » de l’Union Européenne, qui souhaitent accélérer sur le financement et la mise-en-oeuvre de leurs plans de décarbonation. Pourtant, un décalage persistant demeure entre les besoins locaux, les cadres budgétaires nationaux et les dispositifs européens, limitant l’action des collectivités.

Cette pression se cumule avec une crise démocratique et sociale qui fragilise le lien de confiance entre institutions et citoyen.ne.s. Dans ce contexte de rareté de l’argent public et de pression démocratique, les collectivités locales sont en première ligne et sont déjà confrontées à des événements climatiques extrêmes, à un coût d’adaptation croissant ou encore à l’urgence de mieux gérer des ressources naturelles qui se raréfient.

Il est donc aujourd’hui indispensable de changer notre approche du financement public de la transition écologique locale pour que, malgré les fortes contraintes, cette ambition ne reste pas sans traduction concrète.

Analyse

Au cours des dernières années, l’État a soutenu de manière notable l’investissement local en faveur du climat, notamment via le plan de relance ou le fonds vert. Cependant, ce soutien s’est fait sans réelle délégation de décision et de moyens aux collectivités sur les priorités d’investissement. Les collectivités ont été placées dans une position de destinataires de subventions, sans que leurs besoins structurels notamment en ingénierie territoriale ne soient entendus et sans réviser les règles qui bloquent leurs capacités d’action (durées d’amortissement de la dette trop courtes au regard des leviers de décarbonation, faible mobilisation de la dette verte, plafonnement des dépenses de fonctionnement…). 

De leur côté, les collectivités se montrent réticentes à accepter un contrôle de l’État ou à fournir des garanties perçues comme excessives. De plus, l’inadéquation entre la logique budgétaire nationale (annuelle, court-termiste) et la réalité locale (pluriannuelle) freine la planification. Résultat de ce climat de défiance : après une dynamique d’augmentation, les investissements climat des collectivités stagnent, et aucune perspective claire ne permet aujourd’hui de les sécuriser ou de les relancer dans la durée. 

Il est donc urgent, encore plus dans une période de contraction des dépenses publiques, de renouer le dialogue et de repenser la gouvernance financière, afin de dépenser de façon plus efficace l’argent public. Trois priorités se dessinent, précisées par des pistes de travail en annexe du document : 

  1. Reconstruire le dialogue et la confiance : donner aux collectivités une vision de long terme partagée (ex. via des planifications pluriannuelles d’investissement alignés climat au niveau nationale et locale) et passer d’un pilotage vertical à une co-construction, faisant des collectivités des alliées stratégiques dans la planification écologique plutôt que de simples exécutantes (les COP régionales, avec des réserves sur la méthode, auraient le potentiel d’être le cadre de cette co-construction). Une fois la confiance renouvelée et les objectifs partagés, une délégation d’une partie des moyens financiers de l’Etat aux collectivités serait possible (comme c’est le cas sur certains dispositifs ciblés, comme le Fonds Chaleur). 
  2. Adapter les règles qui bloquent l’investissement : lever les freins liés à la gestion de la dette des collectivités pour des investissements climat de long terme ou aux dépenses de fonctionnement pour avoir l’ingénierie adaptée au défi climatique. Ces obstacles empêchent aujourd’hui de développer des projets pourtant nécessaires à la transition écologique, et d’aller chercher des co-financements européens ou privées. 
  3. Améliorer l’efficacité de la dépense publique : simplifier les dispositifs financiers, fusionner certaines dotations, mettre en oeuvre un fonds territorial climat (déléguant une partie des ressources de l’Etat en faveur de l’ingénierie locale) et renforcer les Contrats de Réussite de la Transition Ecologique comme un “contrat intégrateur” qui regrouperait les financements climat, pour plus de lisibilité et d’efficacité grâce à une action publique plus proche des réalités du terrain et plus systémique. 

Dans un contexte budgétaire contraint, un changement de méthode entre acteurs publics dans le financement de l’action climatique peut apporter des marges de manoeuvre. Au-delà du contexte français, une opportunité de renouer le dialogue se profile avec le prochain cycle budgétaire européen. Le remplacement progressif annoncée de la politique de cohésion actuelle par des plans de partenariat national et régional rend d’autant plus nécessaire un dialogue renforcé entre l’État et les collectivités territoriales pour définir comment orienter et dépenser au mieux ces fonds. 

La transition écologique locale dépendra donc non seulement des choix budgétaires nationaux et locaux, mais aussi de la capacité collective à inventer une gouvernance financière renouvelée, efficace et partenariale.