Il est grand temps de reprendre la main ; la sienne, et celle de l’autre

Carte blanche à Hervé Maillot


À propos

Auteur

Hervé Maillot

Date de publication

15 septembre 2022

Alors que nous lançons avec notre région d’origine, la Bourgogne Franche-Comté et en partenariat avec l’ADEME, la route des POTEs (Pionniers Ordinaire de la Transition Écologique), nous avons choisi de donner carte blanche à l’un d’entre eux/elles.

Compagnon de route d’Energy Cities depuis de nombreuses années, Hervé Maillot nous fait prendre de la hauteur et réfléchir au-delà d’une actualité énergétique frénétique, glaçante, brûlante, harassante… Au quotidien, il réinvente et teste de nouvelles méthodes d’organisation du travail dans le secteur de l’éducation. Micro-fermes ou monnaie locale, son engagement local est multiforme. Il est aussi le co-auteur de nos 30 propositions pour la transition énergétique.

Nous lui avons demandé quel était son sentiment sur l’enjeu principal d’aujourd’hui, qui pourrait être notre boussole pour les années qui viennent. Et son propos rappelle la nouvelle initiative des pionniers d’outre-manche avec Rob Hopkins,  One street at a time . On adhère !

Il est grand temps de reprendre la main ; la sienne, et celle de l’autre

Pour penser, agir et interagir dans l’espace public, physique, politique, démocratique, il y a deux façons de faire les choses : « faire sans » ou « faire avec ». Faire « sans » c’est faire « contre », par le conflit, c’est faire « seul », par le repli, c’est faire « pour », par le pouvoir.

Dans ces modalités-là du faire, le territoire est soit une zone de lutte hérissée de frontières, soit une zone d’exclusion qui réduit l’espace relationnel et mental, soit une zone de chalandise, que l’on convoite, séduit, puis administre.

Pour « faire contre », « faire seul » ou « faire pour » à plusieurs, il faut être semblables, il faut penser la même chose. Pour le meilleur ou pour le pire, là n’est pas la question. Dans les trois cas, on aura combattu ou exclu ou ignoré une grande part de la diversité disponible, on aura fait sans beaucoup d’autres, leurs énergies, leurs imaginaires, leurs aspirations, jugés néfastes ou inférieurs ou superflus. Et on aura malmené et perdu bien des singularités, bien des possibles, toute une vie organique en somme.

Il est grand temps de faire « avec ». Avec ses voisins immédiats, ses co-habitantes. Comme ils viennent et comme ils sont.

Ça n’est pas si simple. On ne choisit pas sa famille et bien peu de gens choisissent leurs voisins. Et puis le temps de vie consacré aux amitiés virtuelles des réseaux sociaux a beaucoup réduit celui des liens quotidiens de la convivialité en circuit court. Et celui de la compréhension, notamment celle que l’usage de nos pouces préhenseurs nous offre.

Il est grand temps de reprendre la main. Ensemble, dans nos environnements physiques et sociaux immédiats.

Reprendre la main sur notre destin. Pour redevenir auteurs partout où c’est possible, dans une écriture collective.

Reprendre sa propre main comme on empoigne l’outil. Pour réactiver le goût et répondre à la nécessité primordiale de concevoir, fabriquer, améliorer, préserver, embellir, réparer, dans une sensibilité joyeuse du geste et une économie inspirante des moyens. Pour ne plus être la multitude de silos isolés que la société de la sous-traitance et l’hégémonie de la relation client-fournisseur ont fait de nous.

Reprendre la main de l’autre, du voisin. Pour revivifier des relations entre humains qui partagent de fait des lieux de vie, un même territoire, les mêmes réalités quotidiennes. Et qui, on l’oublie tellement, sont membres d’une communauté de destin. Pour renouer avec l’interdépendance, comme principe de vie et gage de survie. Pour se mettre en ordre de coopération et d’entraide. Quelles que soient nos origines et nos destinations. En humilité.

Les autorités locales, bien que souvent pionnières, ne feront pas la transition seules, dans la seule logique du « faire pour ». Elles peuvent et doivent s’appuyer sur l’immense richesse de leur population. Elles peuvent et doivent éveiller, stimuler, outiller, accompagner leurs puissances d’agir. Les mettre en capacité de transformer les habitats, les quartiers, la ville. Elles peuvent et doivent intriquer plus étroitement les habitants, les acteurs économiques, les associations. Et orchestrer l’ensemble dans une éthique commune.

Il est encore temps de faire « avec ». En passant de la politique des territoires à l’obstétrique des territoires ?