Cet article a d’abord été publié dans le blog d’IDDRI. Nous le republions avec l’accord de son auteur, Andreas Rüdinger, chercheur associé.
La rénovation énergétique représente une priorité pour les plans de relance post-crise, que ce soit à l’échelle de la France, de l’Union européenne ou du monde1. Cette urgence s’explique à la fois par son potentiel économique rapidement mobilisable, son rôle clé pour les politiques climatiques, et par l’importance de la lutte contre la précarité énergétique dans un contexte d’augmentation des vulnérabilités. Alors que les propositions françaises de plans de relance abondent2, il s’agit désormais d’identifier les leviers les plus efficaces permettant de combiner reprise économique et montée en puissance du marché de la rénovation globale et performante, condition indispensable pour se placer sur une trajectoire convergente avec la stratégie nationale bas-carbone française.
À eux seuls, les bâtiments représentent 45 % de l’énergie consommée en France (dont les deux tiers pour le résidentiel et un tiers pour le tertiaire)3. Cette consommation d’énergie représente 28 % des émissions de gaz à effets de serre en France4 ; des émissions qui n’ont quasiment pas reculé depuis 1990 (-3 %), faisant de ce secteur la « lanterne rouge » du premier budget carbone (2015-2018) avec un dépassement de 12 % par rapport à l’objectif sectoriel. Ce constat s’explique essentiellement par la lenteur des progrès dans le secteur de la rénovation énergétique. Face à l’objectif de porter l’ensemble du parc des logements au niveau de performance « bâtiment basse consommation » (BBC) d’ici 2050 et de rénover 500 000 logements par an, les progrès restent timides, pour autant qu’on puisse les mesurer en l’absence de données fiables sur le nombre et la qualité des rénovations5.
L’étude Marchés & Emplois de l’Ademe indique que le secteur de la rénovation énergétique représentait plus de 200 000 emplois et un chiffre d’affaires de 29 milliards d’euros en 2016. Selon les hypothèses du scénario « Rénovons », un plan ambitieux d’éradication des passoires énergétiques (logements de classes énergétiques F et G) pourrait créer jusqu’à 93 000 emplois supplémentaires sur dix ans ; une estimation qui rejoint l’évaluation réalisée par I4CE dans une analyse récente et qui identifie des pistes pour doubler en 5 ans les investissements orientés vers les rénovations très performantes.
En contexte de sortie de crise, face à l’impératif de générer des impacts économiques à court terme, la tentation peut être grande de limiter les mesures du plan de relance à des actions rapidement mobilisables, en s’appuyant exclusivement sur un renforcement des outils d’aide à la rénovation existants, notamment via un élargissement des critères d’éligibilité du crédit d’impôt transition énergétique (réintégrant les ménages les plus aisés), voire une augmentation des taux d’aide. Une telle approche comporte deux risques majeurs. D’une part, l’accroissement du volume d’activité s’estomperait rapidement après la disparition des mesures exceptionnelles, créant de fait une « bulle » d’activité sans impact durable dans le temps. D’autre part, s’appuyer exclusivement sur les outils existants comporte le risque de conserver, voire d’amplifier leurs défauts. En l’occurrence, celui de ne favoriser que des gestes uniques et disparates de rénovation énergétique, déconnectés et souvent incompatibles avec la logique d’une rénovation performante au niveau « BBC ». Et d’augmenter les risques d’effets d’aubaine en cas de subventions fléchées sur des équipements précis, réduisant d’autant l’efficacité économique des dispositifs6.
À l’inverse, une stratégie cohérente avec les objectifs fixés doit viser à combiner des mesures pouvant générer un accroissement d’activité à très court terme avec des actions visant à saisir cette opportunité pour engager résolument le changement d’échelle du marché de la rénovation globale et performante qui fait encore défaut. Une telle stratégie pourrait se fonder sur plusieurs orientations.
À court terme, intégrer une aide massive et directement fléchée vers la rénovation performante « BBC » dans les dispositifs existants (Prime Rénov de l’ANAH, CITE, Certificats d’économie d’énergie) afin d’éliminer un paradoxe important de la politique de rénovation française : face à l’objectif de porter l’ensemble du parc des logements à un niveau « BBC » en 2050, pas un seul outil d’aide national n’est pour l’instant conditionné à l’atteinte de ce niveau de performance, freinant de fait l’émergence de ce marché. Le montant de cette aide devrait être à la hauteur des enjeux, afin de fournir un signal clair et crédible à l’ensemble des acteurs (propriétaires, artisans du bâtiment) sur l’élargissement du marché de la rénovation globale7.
Sur la base des recommandations issus de la Convention citoyenne pour le climat, il s’agit ensuite de viser à moyen terme une refonte de l’ensemble des dispositifs existants, afin de créer une stratégie cohérente autour de trois axes complémentaires :
L’enjeu est donc double : il s’agit de fournir un signal fort pour créer un sursaut du marché de la rénovation énergétique performante à court terme (certains évoquent le terme de « Plan Marshall du bâtiment » ; mais cet effort doit être orienté pour préparer le terrain à la mise en œuvre des orientations stratégiques émises par la Convention citoyenne pour le Climat. Mise en œuvre qui pourrait être détaillée dans le cadre de l’élaboration de la feuille de route quinquennale de la rénovation énergétique des bâtiments inscrite à l’article 1 de la loi énergie-climat de 2019.