Le pacte vert européen sera local ou ne sera pas

Le Comité européen des régions présente des propositions concrètes pour que le pacte vert passe l’épreuve du niveau local


Joško Klisović, ancien diplomate qui a représenté la Croatie sur les questions de développement durable aux Nations unies et président du conseil municipal de Zagreb, représente l’alliance unique entre idéalisme et pragmatisme. Il imagine un pacte vert européen global, qui ne s’attaque pas seulement aux changements climatiques mais aussi aux inégalités, aux injustices et à la pauvreté.

M. Klisović cultive le rêve de voir le pacte vert européen servir de projet pilote à un pacte vert mondial, qui couvre tous les objectifs des Nations unies en matière de développement durable ainsi que tous les défis relatifs aux changements climatiques. Or, il sait ancrer sa vision dans la réalité. Ses responsabilités quotidiennes en tant que président du conseil municipal de Zagreb impliquent de mettre en œuvre au niveau local des mesures concrètes issues du pacte européen. Il lui incombe notamment gérer les conséquences des terribles tempêtes de l’été dernier. Cette expérience de terrain lui permet de formuler des recommandations précises pour appliquer le pacte vert.

Josko Klisovic - photo for Covenant of Mayors

L’approche double de Joško Klisović fait de lui le signataire idéal de l’avis du Comité européen des régions sur la révision de la gouvernance du pacte vert européen, intitulé : « Une gouvernance à multiniveaux du pacte vert : vers une révision du règlement sur la gouvernance ». Ses recommandations ont pour finalités d’élargir et d’assurer la réussite du pacte vert au niveau local. Pour nous, il détaille sa vision et les étapes pratiques pour la concrétiser.

D’après Joško Klisović, la réussite du pacte vert repose sur une coordination efficace, sur la cohérence, et sur l’implication active des collectivités locales et régionales dans le processus de prise de décisions.

Un pacte vert global

Dans l’avis, Joško Klisović voit le pacte vert européen comme un cadre stratégique et une politique globale qui inclut le développement économique, la protection de l’environnement et l’adaptation aux changements climatiques tout en prenant en compte les conséquences sociales. À ses yeux, cette approche inclusive devrait être étendue à des secteurs négligés tels que la santé, les questions liées au genre et la justice sociale.

Vers une économie du bien-être

Dans cette optique, l’avis défend l’idée selon du pacte vert en tant que cadre stratégique pour une « économie du bien-être ». En d’autres mots, le pacte vert, en devenant une politique globale pourrait unifier des politiques divergentes pour en faire un cadre harmonieux, afin de prévenir les inégalités sociales et régionales. Le concept de « bien-être » dépasse les indicateurs tels que le PIB, appelant un modèle économique qui couvre les aspects économiques, sociaux, environnementaux et climatiques. C’est le seul moyen de s’assurer que personne ne reste sur la touche, et que le progrès dans un domaine ne se fasse pas au détriment d’un autre.

L’avis signé par M. Klisović souligne le besoin fondamental de rompre les silos politiques et d’harmoniser des politiques divergentes, notamment en alignant le Semestre européen avec le pacte vert. Il est convaincu qu’une approche intégrée est nécessaire pour garantir une vie meilleure à tous les citoyens de l’Union européenne.

Je pense que le pacte vert ne réussira que s’il embrasse cet élément économique. C’est pour cela que nous nous battons que le Semestre européen s’aligne sur le pacte européen. La gouvernance européenne avec la gouvernance de la protection de l’environnement et de lutte pour le climat. Pourquoi ? Parce que l’une ne va pas sans l’autre. Nous savons combien les gouvernements sont attentifs aux recommandations qui lui parviennent du Semestre européen. Alors rendons le Semestre vert.

La mise en œuvre du pacte vert à l’épreuve du local

M. Klisović insiste sur le besoin d’assurer le succès du pacte vert au niveau local, car les collectivités locales et régionales sont directement responsables de 75 % de ses mesures. Pour que cette vision devienne réalité, il a identifié deux éléments cruciaux qui font défaut aujourd’hui : du personnel qualifié et des financements.

Les capacités administratives au sein des collectivités locales sont actuellement insuffisantes, et souvent il manque au personnel les connaissances et la formation nécessaires pour mettre en œuvre efficacement des politiques modernes. Joško Klisović rappelle l’importance de la formation pour donner aux collectivités locales le pouvoir d’innover et de se montrer créatives.

Les projets nécessitent des financements, et si des fonds nationaux et européens existent, ils ne sont pas toujours accessibles aux collectivités locales et régionales. M. Klisović suggère que l’accès direct aux financements européens ou à d’autres mécanismes simplifiés de financement permettrait d’aider les autorités locales à mettre en œuvre le pacte vert.

Après tout, sans véritable mécanisme de mise en œuvre efficace, le pacte vert n’est jamais qu’un plan, de simples mots couchés sur le papier. Il faut en garantir la mise en œuvre. Comment ? 75 % des mesures sont directement mises en œuvre par les collectivités locales et régionales. Aussi, nous devons leur fournir les ressources adéquates pour une mise en œuvre efficace du pacte vert.

Améliorer la collaboration entre les différents niveaux de gouvernance

L’avis de Joško Klisović sur la gouvernance du pacte vert se concentre en premier lieu sur l’amélioration de la collaboration et de la coopération entre les niveaux locaux, nationaux et européens. Il souligne que les collectivités locales et régionales, qui sont responsables de la mise en œuvre du pacte, ne sont pas suffisamment consultées, que ce soit pour la définition des politiques, des objectifs, des mesures, des plans d’action ou encore des stratégies. Ce manque de concertation engendre des difficultés lorsque les collectivités locales sont chargées de la mise en œuvre. Le système de gouvernance actuel, aux yeux de M. Klisović, présente encore des lacunes en la matière.

Pour améliorer cela, il recommande :

  • d’établir un système de concertation permanent entre les gouvernements et les collectivités locales ;
  • d’obliger les plans nationaux en matière d’énergie et de climat (PNEC) d’inclure un chapitre spécialement dédiée à la mise en œuvre, en mettant en évident les soutiens aux collectivités locales ;
  • de créer un guichet unique où les collectivités locales pourraient trouver des informations et des conseils ;
  • d’impliquer formellement le Comité européen des régions dans des consultations servant à définir les politiques et à rédiger des documents stratégiques qui seront adoptés par le Conseil et le Parlement européens.

Pour cela, il ne faut plus voir les gouvernements locaux et régionaux comme de simples parties prenantes. Il faut les traiter comme des représentants de l’intérêt public, en leur donnant une place égale à la table des négociations avec les États membres pour définir lesdites politiques et stratégies. Il cite le projet NECPlatform, auquel participe la Croatie, en exemple à imiter en matière de mise en place de dialogues multiniveaux efficaces sur l’énergie et le climat.

Nous représentons l’intérêt public ; nous sommes élus par le peuple, à l’instar des gouvernements nationaux, ou des parlementaires européens. Alors, pour être considérés comme des représentants du peuple, des défenseurs de l’intérêt public, traités avec respect,  il faut que nous nous asseyons à la même table, que l’on nous considère comme des partenaires égaux. Je crois que nous méritons notre place, au moins lorsqu’il s’agit de débattre de ces importants politiques stratégiques.

Et après ?

Joško Klisović reconnaît que les prochaines élections européennes et l’orientation de la Commission qui en découlera auront un impact crucial quant à l’avenir du pacte vert. Elles détermineront si cette vision deviendra ou non réalité.

Heureusement, Joško Klisović perçoit un intérêt croissant de la part de la Commission européenne actuelle pour les questions abordées dans l’avis, déclarant qu’elle les suit de près. Il a le sentiment que les collectivités locales ont toujours plus de place dans l’UE alors que nous pensons désormais le pacte européen en termes de mise en œuvre. Bien sûr, reconnaître son importance n’est qu’un début : il faut aujourd’hui que cela soit traduit dans la législation. C’est pourquoi il est fondamental de réviser la gouvernance du pacte vert. Et l’avis du Comité européen des régions fournit des recommandations concrètes et précises pour institutionnaliser le rôle du niveau local.

Nous pensons avoir fait preuve de sens pratique et de réalisme dans notre avis, en nous appuyant sur les outils existants. Il ne s’agit pas de réinventer la roue mais d’asseoir les fondations solides du pacte vert. Si la prochaine Commission est mandatée pour faire avancer le pacte vert, nos recommandations sont claires : impliquer tous les niveaux dans le processus de prise de décisions, reconnaître le rôle de tous les acteurs pertinents, résoudre le manque de capacités administratives, et assurer des financements adéquats. Et nous ne parlons ici que des fondamentaux. Nous n’avançons pas une troisième étape complexe pour le développement du pacte vert : il ne s’agit que de revoir les bases. Sans cela, c’est tout l’édifice qui menace de s’écrouler.

Retrouvez l’entretien complet de Joško Klisović sur le site de la Convention des Maires