Osons le grand retour en avant de l’économie à l’oeconomie

Article invité : Pierre Calame, président honoraire de la Fondation Charles Léopod Mayer pour le progrès de l'Homme


À propos

Auteur

Pierre Calame

Date de publication

29 juin 2020

Les débats se multiplient sur la relance de l’économie après l’épidémie du Covid-19. Mais les termes en sont-ils bien posés ? Rien n’est moins sûr.

Certain·e·s rêvent de retour au « monde d’avant », de relance des grandes industries automobiles et aéronautiques, faisant de la pandémie une simple parenthèse. D’autres veulent au contraire prendre à contre-pied un modèle qui a soudain révélé sa fragilité, mettant des sociétés entières dans la dépendance de quelques producteurs à l’autre bout du monde, et prêchent la relocalisation de la production, voire le retour à des souverainetés économiques, la fermeture des frontières nationales à l’occasion de la crise sanitaire leur ayant révélé que la seule communauté qui tienne le coup en cas de crise est la bonne vieille communauté héritée du passé.

Ces deux attitudes, en apparence opposées, ont pour point commun… de rester dans le même logiciel intellectuel, à la source aussi bien de la crise sanitaire que des crises écologique, sociale et même politique. Autre point commun, typique des néo-souverainismes comme du libéralisme, est de confondre la globalisation économique, éminemment réversible, et la mondialisation des interdépendances entre l’humanité et la biosphère, entre les sociétés, qui sont, elles, irréversibles : ce n’est pas de moins de multilatéralisme dont nous avons besoin aujourd’hui mais d’une véritable gouvernance mondiale à la hauteur de ces interdépendances et, pour commencer, d’un droit international de la responsabilité qui nous rende comptables de notre impact sur la biosphère et sur les autres sociétés [1].

Alors, retour au monde d’avant, oui, mais de quel « avant » s’agit-il ? Pas du monde d’hier et des dernières décennies mais du monde… d’avant la révolution industrielle. Pas pour revenir à la bougie bien sûr, pas dans la nostalgie d’une harmonie qui n’a jamais existé mais parce que les défis du 21e siècle, assurer le bien-être de tou·te·s dans le respect des limites de la biosphère, sont précisément ceux qu’ont eu à relever toutes les sociétés avant que la révolution industrielle ne nous fasse rêver d’une énergie et de ressources naturelles sans limites. Cela avait un nom : l’oeconomie ; l’art de gérer le « foyer domestique » de la famille à la nation. Oui, osons, à l’occasion du coup de semonce de la pandémie, qui nous a soudain rappelé à nos fragilités avant que le dérèglement climatique ne provoque cette fois un effondrement irréversible, le grand retour en avant de l’économie à l’eoconomie.

Tout mon effort depuis plus de quinze ans a été de jeter les bases de cette oeconomie du 21e siècle [2]. J’y montre notamment le rôle décisif que devront jouer les territoires dans la conduite de la transition vers des sociétés durables et la nécessité d’appliquer à l’économie et à la monnaie les principes de la gouvernance à multi-niveaux.

A propos de l’auteur

Pierre Calame, polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées, a travaillé pendant vingt ans au ministère français de l’Équipement. Après un bref passage dans l’industrie, il a dirigé pendant vingt ans la Fondation Charles Léopold Mayer, dont il est aujourd’hui président d’honneur.


[1] Voir : Métamorphoses de la responsabilité et contrat social ; Pierre Calame ; ECLM 2020

[2] Petit traité d’oeconomie ; Pierre Calame ; ECLM 2018. Téléchargeable gratuitement : https://www.eclm.fr/livre/petit-traite-d-oeconomie/