Qu’est-ce que la précarité liée aux transports et comment les villes peuvent-elles y remédier ?

Il est plus facile de devenir pauvre en transport qu'en énergie


À propos

Auteur

Axelle Gallerand

Date de publication

24 septembre 2021

Que se passe-t-il lorsque le prix des carburants augmente ? Lorsque les vieilles voitures ne sont plus autorisées à rouler ? Qu’arrive-t-il à ceux qui ne peuvent pas se permettre ces changements ? Les plus vulnérables ne devraient pas payer le prix le plus élevé de la transition. Aussi, les politiques pour une transition juste doivent rester souples et équitables pour tous. 

Dès lors qu’on évoque une transition juste, on se concentre souvent sur la pauvreté énergétique : on débat des problématiques relatives à la maison, telles que le chauffage et la climatisation, et l’on présente des solutions comme les communautés énergétiques et l’efficacité énergétique. Mais la plupart du temps, on oublie de prendre en compte le fait que le transport joue un rôle important dans l’équité de la transition énergétique pour tous. Dans quelle mesure la mobilité fait-elle partie du spectre de la précarité énergétique ? Et que signifie la précarité liée aux transports ?

Un ménage qui consacre 10 % de ses dépenses à ses déplacements d’un point A à un point B est considéré comme « pauvre en transport ». Ces dépenses peuvent avoir de nombreuses raisons : soit les personnes vivent dans une région éloignée (ce qui peut facilement affecter les ménages à faibles revenus mais aussi les ménages à revenus moyens et élevés), soit elles sont confrontées à une dépendance aux transports en raison d’une vie éloignée ou de besoins de mobilité élevés qui obligent les ménages à dépendre de l’existence, de l’accessibilité et des coûts des transports, publics comme privés.

Le problème est plus grave qu’on pourrait le croire. Selon l’étude « Définir la vulnérabilité énergétique transport » de l’Observatoire français de la précarité énergétique (ONPE), les gens sont plus susceptibles de devenir pauvres en transport que pauvres en énergie. L’étude souligne que les personnes susceptibles d’être vulnérables en matière de transport (18,8 %) sont plus nombreuses que celles qui ont des difficultés à chauffer leur logement (16,1 %) : certaines banlieues disposant de logements rénovés, c’est la distance à parcourir qui crée la vulnérabilité.

En effet, vivre loin des principales zones urbaines ou avoir des moyens limités pour se rendre sur son lieu de travail peut souvent conduire à l’isolement social et à des risques de vulnérabilité plus élevés.

Quel rôle pour les collectivités locales ?

Les exemples suivants peuvent donner aux collectivités locales des idées sur la manière de s’attaquer à la précarité liée au transport et de la réduire dans leur région.

L’emploi à Merseyside (Royaume-Uni) grâce au transport

En 2006, le comté de Merseyside a lancé le projet Neighbourhood Travel Teams (NTT). Ce dernier visait à fournir des solutions de déplacement individuelles aux résidents. Le projet avait pour objectif de leur donner un meilleur accès aux agences pour l’emploi locales, aux centres pour la jeunesse, aux centres de formation pour adultes et aux bibliothèques. Les gens recevaient des plans de déplacement personnalisés et des informations, des cartes de bus gratuites et des options de partenariats entre participants. NTT n’a pas encouragé l’utilisation de la voiture, mais s’est concentré sur les alternatives à l’utilisation de la voiture afin de réduire les coûts de carburant, étant donné que plus de la moitié (59 %) des résidents du quartier ne possédaient pas de voiture.

À titre d’exemple, NTT a encouragé les gens à utiliser les bus JobLink qui desservaient déjà les principales zones d’emploi. En conséquence, 70 % des personnes ayant récemment commencé à travailler ont déclaré qu’il ne serait pas possible ou trop difficile de se rendre au travail sans le service JobLink de Merseyside. En outre, le nombre de résidents utilisant les transports publics pour accéder à l’emploi, à la formation, à l’éducation et aux soins de santé a augmenté de 2 700 en 2007.

Cela montre que proposer des alternatives à l’utilisation de la voiture porte ses fruits dans les zones défavorisées. Des initiatives telles que le NTT peuvent aider les personnes pauvres en transport à trouver et à conserver leur emploi. Le rapport d’évaluation du projet témoigne de l’importance capitale du concept dans le secteur des transports de Merseyside : « Jusqu’à l’apparition des NTT, personne ne veillait à ce que les personnes qui effectuaient la difficile transition entre l’aide sociale et le travail disposent de moyens de transport. Action for jobs avait identifié les déplacements comme un obstacle majeur à l’accès aux opportunités d’emploi et de formation dans toute la région de Merseyside, (…) personne ne fournissait d’aide dédiée au transport. »

Des bus gratuits à Dunkerque (France)

En 2015, Dunkerque, membre français d’Energy Cities, a commencé à proposer un service de bus gratuit le week-end dans le but de stimuler l’économie locale et de permettre aux habitants de se déplacer plus librement. L’initiative a connu un succès incroyable : les habitants ont commencé à utiliser le bus beaucoup plus fréquemment, 30 % de plus le samedi et jusqu’à 80 % de plus le dimanche. Elle a permis aux gens d’économiser de l’argent et d’éviter le stress et la gestion du temps liés au stationnement. En réalité, l’initiative a connu un tel succès que la ville a lancé un système global gratuit pour toute la semaine. Désormais, les bus connaissent une hausse d’utilisation de 60 % en semaine et de 120 % le week-end.

Dans un article de CityLab, le maire explique qu’il s’agit à la fois d’un choix environnemental et d’une initiative sociale : « Nous savons tous aujourd’hui que nous devons faire quelque chose pour l’environnement (…) la gratuité des transports publics ajoute également une dimension sociale, car elle relie les gens entre eux. C’est quelque chose que les maires ont tout intérêt à développer. » Il a également expliqué que les tarifs payés par les usagers n’ont jamais représenté que 10 % du budget de fonctionnement des transports en commun, soit environ 50 millions d’euros par an. Le reste provient d’une taxe spéciale sur les transports prélevée sur les entreprises et du budget général de fonctionnement du gouvernement régional.

Cette initiative est devenue très populaire, tant au niveau local que national : la gratuité des transports publics a également été instaurée à Tallinn (Estonie) et au Luxembourg.

Le covoiturage par MOV’ICI à Grenoble (France)

Grenoble a promu dans son plan d’action MOV’ICI, une application mobile de covoiturage. Le covoiturage permet aux consommateurs vulnérables de se rendre plus facilement au travail. L’application a été créée pour offrir au conducteur et au passager des informations en direct sur les trajets et un moyen de se contacter immédiatement. Le conducteur choisit les prix qui, dès le début, ont été fixés entre 0,30 et 0,60 € par km. En 2018, l’application comptait 45 000 membres, plus de 90 communes étaient concernées et plus de 220 000 personnes étaient mises en relation pour des trajets en covoiturage.

L’objectif de cette application était de faciliter les déplacements quotidiens en transports en commun dans les zones rurales. Les créateurs parlent d’un instrument d’ « équité territoriale » : le covoiturage peut être le principal instrument de réduction des inégalités géographiques et territoriales, car il met en relation des personnes pour un accès plus facile et moins cher à des services de base qu’elles ne pourraient autrement obtenir par leurs propres moyens en raison de restrictions territoriales et économiques.

Principaux points à retenir pour les villes

La mise en place de moyens de transport plus équitables et partagés, et la réduction de la dépendance à la voiture par la promotion de transports publics gratuits et accessibles sont quelques-uns des nombreux moyens dont disposent les municipalités pour réduire la précarité liée aux transports. Ces exemples ne sont pas toujours des solutions directes pour éradiquer cette précarité, mais ils offrent des alternatives pour rendre les gens moins vulnérables.

Les initiatives visant à réduire l’étalement urbain pourraient également réduire l’utilisation de l’automobile privée. Une réglementation juste sur les prix de location et une meilleure infrastructure cyclable pour se rendre au travail devraient également faire partie des solutions. Avec les restrictions actuelles liées à la Covid-19, et le nombre croissant de personnes travaillant à domicile, les villes pourraient également envisager d’encourager les solutions de bureau à domicile lorsque cela est possible, afin de réduire la précarité liée aux transports.

Ces gouvernements locaux pionniers nous rappellent que la précarité liée aux transports n’est pas un problème unidimensionnel, mais qu’il peut être abordé à plusieurs niveaux et dans différents domaines. Bien que les villes aient un rôle important à jouer, la précarité liée aux transports est également un problème national. Si nous voulons une transition (énergétique) juste, les politiques nationales et européennes doivent veiller à ce que la mobilité reste accessible et abordable pour tous.