La ville d’Ersilia, telle que décrite dans le roman Les villes invisibles d’Italo Calvino, est un lieu où les bâtiments sont maintenus par les liens que les habitant·es tissent grâce à leurs relations. Cette année, lors de la journée d’inspiration dans le cadre de notre forum annuel, Ersilia a servi de métaphore pour repenser la gouvernance locale dans la perspective de bâtir des villes à l’épreuve du temps, fondées sur l’engagement, la coopération et la création de relations transversales et généralisées.
Vous n’avez pas pu visiter Ersilia pendant notre journée d’inspiration à Modène ? Voici les moments phares du voyage.
Ersilia a été pleine de surprises, et a permis aux représentant·es des villes et aux parties prenantes de repenser de manière créative la façon dont les relations sont gérées au niveau local. Tout a commencé avec une histoire mettant en avant une vache, qui a soulevé une question : comment une vache peut-elle influencer la conception d’un espace public ?
Une ville norvégienne a bousculé les idées reçues sur les espaces publics en remettant en question la perception que ses habitant·es avaient d’un parking dont tout le monde semblait se satisfaire. Pour stimuler leur imagination, la ville a introduit une vache dans l’espace public et a commencé à offrir des glaces et du lait. Cette initiative a attiré l’attention de la population et l’espace est progressivement devenu un lieu de rencontre animé, que les gens ont commencé à se réapproprier et à transformer en apportant leurs propres sièges, plantes et jeux, afin de le rendre plus attrayant. Ainsi, au lieu d’imposer un changement aux habitant·es, le conseil municipal a transformé l’espace public grâce à l’engagement et à l’imagination de tout le monde.
Comme l’illustre l’expérience de la vache, la mobilisation citoyenne repose sur l’identification et l’engagement des chef·fes de file, qui ont la volonté de prendre des risques et d’initier le changement. C’est comme lancer une soirée dansante : on compte sur les plus intrépides pour investir la piste de danse et commencer à danser pour enfin voir naître un mouvement collectif. Par ailleurs, offrir aux convives la possibilité de choisir la musique peut leur donner envie d’aller se trémousser au rythme de leurs chansons préférées.
Nous pouvons tirer des leçons précieuses de ces deux exemples : pour mobiliser les gens et insuffler un changement, il est nécessaire de mettre tout le monde sur un pied d’égalité afin de garantir l’inclusion, de favoriser une ambiance conviviale propice aux rencontres et de créer un sentiment d’appartenance.
Dans la pratique, les villes peuvent s’inspirer des expériences mises en œuvre par les « villes-mission », des villes pionnières qui visent la neutralité carbone à l’horizon 2030 dans le cadre de la mission « villes neutres en carbone » de l’UE.
La ville-mission de Bologne, par exemple, mobilise ses citoyen·nes à travers des laboratoires de quartier et des assemblées citoyennes, mais a également mis en place un rôle innovant dédié au développement de relations : l’agent·e de proximité. Son rôle consiste précisément à favoriser des liens semblables à ceux que l’on peut retrouver à Ersilia : créer des relations entre différents groupes sociaux au sein d’un même quartier et faciliter la communication autour des politiques vertes locales.
Amsterdam, une autre ville-mission, a également adopté des approches innovantes pour mobiliser ses citoyen·nes dans sa transition en expérimentant la théorie du donut. En créant des « donut deals » (sorte d’ensemble d’accords de coopération), la coopérative Groene Hub mobilise les chef·fes de file d’un quartier et crée des liens entre ces dernier·ères afin de trouver des solutions transversales à des problèmes communs.
Décloisonner les administrations locales
Lors de l’escale à Ersilia, les voyageur·euses n’ont pas seulement découvert comment tisser des liens avec et entre les résident·es, mais aussi comment créer des liens au sein de leur propre administration, pour éliminer le cloisonnement et susciter un changement.
Valence a entrepris un changement important dans sa gouvernance locale autour de sa feuille de route pour atteindre la neutralité carbone et les objectifs de sa mission. Toutes les deux semaines, la ville réunit les membres de l’ensemble des services et des agences lors de rencontres « journées mission » afin de les aligner sur les actions et les approches visant à atteindre les objectifs de la mission.
À Florence, la Convention des maires a favorisé la formation d’une task-force flexible sur le climat, qui a vu le jour sous la forme d’un groupe de travail en 2011. Composée de 11 membres (et évolutive si besoin), cette task-force joue un rôle central dans la réponse aux défis posés par le climat. La direction de la ville utilise des outils pour suivre l’avancement de son programme énergétique, ce qui lui permet de mobiliser efficacement les parties prenantes en démontrant l’impact de ses actions.
Assen, sous l’impulsion de la personne en charge de la stratégie de la ville, œuvre à décloisonner ses services pour une intégration globale de ses politiques. La municipalité a compris que le développement à long terme nécessitait un effort coordonné, ce qui a conduit à la création de ce rôle de stratège indépendant. La personne qui occupe ce rôle travaille à l’identification des personnes capables d’encourager la collaboration entre les services, identifie les solutions employées dans un service qui pourraient résoudre les problèmes d’un autre service, et combine les efforts afin de servir les intérêts de toutes et tous.
Ces expériences mettent en exergue certains éléments fondamentaux nécessaires pour tisser des relations solides au sein de votre administration locale :
Ersilia nous a aussi montré comment un nouvel outil numérique, l’European City Calculator, peut créer des scénarios pour aider les décisionnaires à façonner des villes adaptées aux enjeux de demain grâce à une collaboration forte entre municipalités, ONG et parties prenantes concernées.
L’European City Calculator permet de visualiser et de simuler des scénarios de neutralité carbone tout en évaluant les compromis à l’aide de données scientifiques précises. Début 2024, un programme de formation sera mis en place afin de permettre aux autorités publiques de maîtriser cet outil Web en vue d’une planification efficace de la stratégie climatique des villes. Ce programme abordera des sujets tels que l’engagement des parties prenantes locales, la prise de décisions éclairées grâce à l’outil mis à disposition et la contribution aux plans nationaux pour l’énergie et le climat (PNEC).
Dijon Métropole, l’une des villes pilotes d’EUCityCalc, a utilisé l’outil pour créer des scénarios dans les secteurs du transport et de la construction. Les mesures testées comprennent notamment la production d’énergie propre, l’amélioration de la gestion des déchets et la mise en place de réseaux de transports publics efficaces.
D’autres villes pilotes, Mantoue, Sesimbra, Palmela et Setúbal, soulignent l’importance de la collecte de données pour identifier les défis liés au climat et insistent sur la nécessité de visualiser l’impact des mesures envisagées afin d’élaborer des politiques qui auront une incidence directe sur les citoyen·nes en toute connaissance de cause. Grâce à ce nouvel outil, les villes pilotes organisent des ateliers de co-création impliquant les parties prenantes concernées dans le développement de leurs démarches de décarbonation.