Conditions d’accès au réseau des communautés énergétiques citoyennes

Décodage des défis et opportunités en France et en Allemagne


À propos

Date de publication

28 septembre 2021

Nous savons l’immense potentiel que représente l’énergie citoyenne pour assurer une transition juste. C’est pourquoi nous partageons régulièrement des exemples à suivre et encourageons les municipalités et autres acteurs locaux à soutenir l’énergie citoyenne ou à créer leur propre communauté énergétique. Mais soyons réalistes : ces communautés sont encore confrontées à de nombreux obstacles et l’accès au réseau en est un. Coût de raccordement élevé, complexité des procédures ou encore exigences techniques qui laissent pantois : tout cela peut décourager les acteurs non professionnels et entraver ou limiter les projets de communautés énergétiques citoyennes. Notre stagiaire Andrea Wainer a récemment terminé un mémoire sur le sujet dans le cadre de son master en Gestion des ressources et Environnement à l’Université VU d’Amsterdam. Dans cet article, nous partageons ses conclusions sur les défis et opportunités que rencontrent les communautés énergétiques citoyennes dans leur accès au réseau en France et en Allemagne.

Une situation contrastée : deux pays, deux modes de gestion du réseau

La France et l’Allemagne sont deux pays avec des modèles de gouvernance du réseau de distribution très différents. En France, une entreprise nationale gère 95 % du réseau de distribution du pays alors qu’en Allemagne, environ 900 entreprises opèrent localement. Examinons de plus près les principaux avantages et inconvénients de chaque système.

Le plus souvent, les projets d’énergie citoyenne sont raccordés au réseau de distribution, lequel est géré localement par un gestionnaire de réseau de distribution (GRD). L’enquête menée par Andrea Wainer montre qu’il n’est pas rare que les porteurs de projets fassent état de difficultés dans leur relation avec le GRD.

L’étude souligne également l’importance des législations nationales, telles que la priorité donnée aux installations utilisant des sources d’énergie renouvelables pour se connecter au réseau. Cette priorité existe en Allemagne, mais pas encore en France. Il est à noter que dans les deux pays, les mêmes règles de raccordement s’appliquent à toutes les unités de production utilisant des sources d’énergie renouvelables, et qu’aucun soutien spécifique n’est prévu pour les producteurs d’électricité renouvelable engagés dans une démarche à vocation sociale.

Un autre facteur important est le coût du raccordement au réseau. Alors que les porteurs de projets français doivent supporter le coût de l’optimisation du réseau lié au raccordement de nouvelles unités de production, en Allemagne, ces coûts sont essentiellement pris en charge par le GRD – puis répercutés sur les consommateurs via la facture d’électricité. Pour de nombreux acteurs français, la solution allemande est perçue comme une source d’inégalité, les consommateurs non concernés par les projets d’énergie citoyenne devant quand même supporter les frais d’optimisation du réseau nécessaires à leur raccordement.

Les règles et le coût de raccordement étant fixés au niveau national, quelle marge de manœuvre pour les municipalités ?

La distribution d’énergie est une activité réglementée, c’est-à-dire que la priorité de connexion au réseau pour les énergies renouvelables et les règles de financement du réseau de distribution sont fixées au niveau national. Cela ne signifie pas pour autant que les municipalités ne peuvent pas aider les communautés énergétiques citoyennes à injecter leur électricité sur le réseau. Leur marge de manœuvre est d’autant plus grande lorsqu’elles possèdent et gèrent leur propre réseau de distribution ou lorsque le réseau est géré par une entreprise municipale. C’est le cas en Allemagne : les entreprises municipales (appelées « Stadtwerke ») ont une longue tradition de gestion des ressources locales (700 des 900 GRD allemands sont des Stadtwerke) et le pays a vu le mouvement de remunicipalisation prendre de l’ampleur ces dernières années. Mais cela n’est pas le cas de l’autre côté du Rhin : bien que les villes françaises soient officiellement propriétaires du réseau de distribution au niveau local, la loi en attribue la gestion, sous le régime de la concession, à un seul GRD sur 95 % du territoire.

D’aucuns diront cependant qu’un trop grand nombre de petits distributeurs opérant simultanément peut conduire à un manque de capacité technique et empêcher le développement de stratégies nationales, telles que le déploiement de compteurs intelligents, qui, en offrant des solutions de gestion de la demande, permettent d’éviter de coûteuses extensions de réseau.

Cependant, même lorsque les municipalités ne sont pas habilitées à gérer leur réseau de distribution, elles peuvent soutenir les communautés énergétiques (consultez notre guide !) et les aider à se raccorder au réseau : en France, plusieurs villes et associations qui fédèrent des projets d’énergie citoyenne ont mis en place des accords de coopération avec le GRD national. Ces contrats permettent un dialogue entre le GRD, les municipalités et les communautés énergétiques autour des questions de raccordement. Toutes les personnes interrogées dans le cadre de l’étude ont convenu que ce type de coopération s’est avéré très utile.

Dans de nombreux pays de l’UE, le raccordement des nouvelles unités de production électrique se fait sur la base du principe « premier arrivé, premier servi », avec pour conséquences des coûts de raccordement variables et potentiellement injustes. Ce problème pourrait être résolu, du moins en partie, en élaborant des plans de développement afin de prévoir et mutualiser les coûts d’optimisation du réseau entre porteurs de projets. La Directive européenne concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité (2019) stipule d’ailleurs que les États membres doivent établir des plans de développement du réseau pour les réseaux de distribution. En France, la loi impose aux GRD de publier au moins tous les deux ans un plan de développement de réseau, une obligation qui n’a pas non encore été transposée dans les décrets d’application.

Les villes, un intermédiaire utile pour un accès juste et optimisé

Andrea Wainer propose que les villes jouent un rôle central dans la planification et l’optimisation du réseau en créant des « organes de planification locale » rassemblant citoyens et GRD avec pour objectif d’identifier des sites potentiels pour de nouvelles capacités de production et les optimisations à apporter au réseau en vue de leur raccordement. Cette proposition rencontre un obstacle important : les GRD ont une obligation de non-discrimination et sont tenus au secret commercial, ce qui les empêche de révéler des projets potentiellement concurrents. Ils ne peuvent non plus avoir des activités de conseil, qui pourraient être considérées par les autorités de régulation comme une violation de leur obligation de dégroupage. L’un des principes du marché européen de l’énergie est en effet de séparer la distribution d’électricité des activités concurrentielles, afin de garantir un accès non discriminatoire au réseau. En tant qu’entreprises réglementées, les GRD ne sont donc pas autorisés à exercer des activités concurrentielles telles que la production ou l’agrégation d’énergie.

Enfin, il est également proposé que les villes se penchent de plus près sur l’impact des mécanismes de financement du réseau sur les coûts de raccordement tout en surveillant la transposition des directives européennes dans le cadre du paquet « Fit for 55 (Ajustement à l’objectif 55) » dans leur pays. Les municipalités sont en contact étroit avec les communautés énergétiques et connaissent les difficultés auxquelles les citoyens sont confrontés au moment de payer leurs factures d’énergie. Fortes de leur expérience, elles pourraient rédiger des recommandations quant au financement des coûts de raccordement. Ces financements alternatifs feraient intervenir d’autres revenus que les contributions des citoyens et permettraient aux communautés énergétiques de se connecter au réseau sans faire peser une charge supplémentaire sur ceux qui ne peuvent pas y participer.

Une chose est claire : la facilité ou non de raccordement au réseau dépend fortement des stratégies et réglementations mises en place plus largement au niveau national en matière d’énergies renouvelables et est étroitement liée à celles-ci. Les incitations financières, le mode de financement du réseau dans chaque pays, et enfin, les règles européennes du marché commun de l’électricité sont également à prendre en compte. De plus en plus de décideurs politiques reconnaissent le potentiel des communautés énergétiques citoyennes à contribuer à la transition énergétique et à apporter des bénéfices sociaux et économiques. Les règles d’accès au réseau et les mécanismes de financement doivent intégrer ces nouveaux acteurs de la manière la plus équitable possible et les dernières avancées apportées par la législation européenne sur ce sujet vont dans la bonne direction.

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