Dans de nombreux États membres de l’UE, le taux de 3% de rénovation ne pourra être atteint que si les politiques publiques portent également sur la rénovation des immeubles collectifs. Heureusement, des expériences intéressantes spécifiques à ce type de bâtiment existent déjà sur le terrain. Lors d’une journée de conférence à Bruxelles, les six villes pilotes ( Liège, Paris, Anvers, Maastricht, Aberdeen, Francfort) du projet ACE-Retrofitting, un projet financé dans le cadre du programme Interreg ENO, ont éclairé les participants sur les opportunités et défis que représentent les projets de rénovation dans les copropriétés.
La semaine dernière, lors du Salon de la copropriété organisé à Bruxelles, la conférence ACE-Retrofitting a rassemblé des représentants d’administrations publiques et d’organismes privés œuvrant dans ce secteur, tant en Belgique qu’au niveau européen. Les débats politiques et les échanges d’expérience entre professionnels ont montré que les copropriétés sont, en quelque sorte, les parents pauvres des politiques de rénovation.
C’est notamment le cas en Europe du Nord-Est où de nombreuses copropriétés ont été construites avant 1970 et ont donc besoin d’être modernisées. Alors que certaines collectivités locales pionnières ont déjà commencé à travailler avec des associations de copropriétaires et des professionnels du bâtiment, l’essentiel du cadre juridique tant au niveau national qu’européen reste peu développé.
A la mi-novembre 2019, la Commission européenne a annoncé la publication, en décembre, d’un programme portant sur la rénovation des logements. Ce programme vise à devenir l’une des « initiatives phares » du prochain Green Deal européen. Nous ne savons pas encore quelles mesures seront incluses, mais il est clair que l’on ne pourra améliorer le taux de rénovation sans un soutien ciblé aux propriétaires. Oui, mieux encore, aux syndicats de copropriété. En quoi devraient consister ces mesures d’accompagnement et quelles leçons peut-on tirer des expériences déjà menées ? Les intervenants et participants à cette conférence ont échangé sur leurs pratiques et méthodes concernant l’implication des partie prenantes et fait des recommandations pour accélérer le taux de rénovation des copropriétés.
Les décideurs politiques peuvent d’ores et déjà s’inspirer des approches développées ces trois dernières années par les partenaires du projet ACE-Retrofitting. Les collectivités locales et partenaires experts qui y participent ont développé un service unique d’accompagnement pour la rénovation des copropriétés, ainsi que des outils pratiques comme le guide ACE-Retrofitting step by step. L’idée est de faciliter le processus de rénovation, souvent long et compliqué, lorsqu’il s’agit d’immeubles collectifs d’habitation.
Barbara de Kezel, de la Maison de l’Energie d’Anvers, a rappelé aux participants que seule une approche holistique de la rénovation des copropriétés peut fonctionner. Ses 5 conseils à toute personne voulant accompagner les acteurs dans cette entreprise sont les suivants :
En effet, une des leçons qu’en ont tirées les villes pilotes est que les travaux d’amélioration de l’efficacité énergétique doivent aller de pair avec d’autres travaux nécessaires à court ou long terme.
« Une rénovation en profondeur est une occasion qui ne se présente qu’une fois dans une vie et ne doit pas être prise à la légère » a affirméThierry van Cauwenberg, consultant énergie auprès du Vice-Président du Gouvernement wallon et Ministre du Climat, de l’Energie et de la Mobilité. L’idée est également défendue par Aurélie Beauvais, directrice des affaires publiques chez Solar Power Europe, qui souhaiterait un cadre renforcé et des incitations pour une approche intégrée. Mais la rénovation n’est qu’une des pièces du puzzle. Mme Beauvais a également souligné le besoin de transformer les propriétaires en prosommateurs et d’accroître le nombre de communautés énergétiques renouvelables dans les copropriétés.
Vincent Spruytte, Vice-Président de l’Union Francophone des Syndics, a également défendu cette idée, en indiquant que les copropriétés devenues producteurs d’énergie peuvent utiliser le produit de leurs ventes pour couvrir le coût des rénovations. Il a donné l’exemple de la copropriété Marius Renard à Bruxelles où les gains sur l’unité de cogénération servent à financer des travaux de rénovation. Les participants ont fait remarquer qu’une telle solution valait essentiellement pour les grands ensembles. Pour les plus petits immeubles, à savoir la majorité, un accompagnement reste nécessaire.
La Ville de Paris est un pionner dans ce domaine. Grâce à un vaste programme de rénovation appelé « Eco-rénovons Paris » lancé en 2013, la municipalité a déjà conseillé 10 % des copropriétés sur son territoire. Les énergies renouvelables font partie du cahier des charges des travaux de rénovation. Antoine Guéguen, chef de projet, a présenté le travail de pionnier mené par l’Agence Parisienne du Climat (APC). CoachCoPro, une plateforme numérique intégrant un accompagnement des copropriétaires et des professionnels, a servi de modèle pour les villes partenaires au projet ACE-Retrofitting. Il convient de noter que le succès de Paris a nécessité à une bonne dose de patience : plusieurs années ont en effet été nécessaires pour concevoir ce système de coaching, désormais utilisé par 22 villes en France, et les outils qui vont avec. L’Agence Parisienne du Climat entend même aller plus loin dans les années à venir en rassemblant plusieurs copropriétés au sein d’une zone de rénovation concertée afin de profiter des économies d’échelle.
Des représentants de la Région de Bruxelles Capitale, de la Région wallonne et de l’Agence Flamande pour l’Energie ont partagé la stratégie de leurs organisations en matière de bâtiments. Julien Simon, du Ministère de la Région bruxelloise en charge de l’environnement et de l’énergie a parlé de la loi climat actuellement en cours de préparation. En vue d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, il est prévu de prendre des mesures spécifiques dans le secteur du bâtiment, dont une obligation de rénovation applicable aux immeubles dont l’audit énergétique en aura révélé la nécessité, et ce à partir de 2030. Les propriétaires devront faire réaliser ces audits systématiquement tous les 5 ans.
Les copropriétés sont également un sujet important en Flandre, une région qui en compte 130 000. Roel Vermeiren, de l‘Agence Flamande de l’Energie (VEA), a indiqué que l’agence travaille actuellement à une stratégie de rénovation sur le long terme en annexe du Plan national Energie-Climat. Les recommandations de VEA au gouvernement belge incluent un programme d’accompagnement pour la rénovation des copropriétés et la possibilité pour les copropriétaires d’obtenir un prêt pour financer cet accompagnement. Ils ont par ailleurs développé un mécanisme public-privé afin d’allonger la durée de l’emprunt pour les travaux (de 10 ans actuellement à plus de 30 ans). VEA a écouté la Ville d’Anvers, partenaire au projet ACE-Retrofitting, et demandé l’intégration d’un tel accompagnement dans la stratégie qui devrait voir le jour début 2020.
Emmanuelle Causse, de l’Union Internationale de la Propriété Immobilière, a souligné le manque de données et de connaissances de base sur les copropriétés en Europe. Améliorer la collecte de données et le suivi des copropriétés constitue une première mais importante étape vers de meilleures politiques dans ce domaine. Ceci étant, les discussions entre acteurs locaux ont par la suite montré que les villes connaissaient des enjeux similaires : Paris, Maastricht et Anvers ont également souligné la difficulté à réunir des données et à suivre les progrès réalisés en matière de rénovation de copropriétés. Pour y remédier, la Ville de Paris vient de créer un observatoire de la rénovation en copropriété afin de rendre ce marché plus visible et plus tangible.
Comment le secteur du bâtiment perçoit les copropriétés? Jean-Pierre Liebaert, de la Confédération Construction, a indiqué que les copropriétés représentent un défi important, notamment en raison de la distinction entre espaces privés et espaces communs. Selon lui, même si les professionnels jouent un rôle indéniable dans l’exécution des travaux de rénovation, le plus important reste le projet lui-même : celui-ci doit être suffisamment bien conçu en amont pour respecter le budget initial, le dépassement des coûts étant un problème récurrent.
Vincent Spruytte de l’Union Francophones de Syndics défend également l’idée que les syndics doivent adopter une approche plus professionnelle, qui aille bien au-delà des simples tâches administratives. Les syndics doivent en particulier être plus au fait des questions énergétiques, et notamment des possibilités en matière de production d’énergie.
Au cours de cette journée de conférence, les discussions ont été animées et ont parfois suscité des controverses. Mais tous les intervenants se sont accordés à dire qu’il était nécessaire de développer des liens plus forts entre les niveaux de gouvernance pour des politiques efficaces et entre parties prenantes pour des rénovations performantes et pérennes.
Voici quelques conclusions tirées du débat sur ce qu’il manque encore pour que les copropriétés soient moins énergivores, notamment au niveau européen :
Pour approfondir le sujet : Les leçons à retenir, conseils et mesures pratiques développés par les partenaires au projet ACE-Retrofitting ont été réunis dans le guide « Accélérer la rénovation énergétique des copropriétés – Pistes à l’attention des collectivités locales pour faciliter le changement » . Retrouvez toutes les informations sur la conférence (présentations, photos, programme) ici |