ENTRETIEN : LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE FAIT-ELLE ENCORE BATTRE LE CŒUR FRANCO-ALLEMAND ?


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Date de publication

12 février 2018

« Dans le passé, la France et l’Allemagne ont fait des choix politiques très différents. Or, aujourd’hui, nous avons une convergence des objectifs qui donne toute son énergie au moteur franco-allemand », estime Pascal Gauthier, Conseiller économique Transport Énergie Environnement à l’Ambassade de France en Allemagne.



En janvier, des résolutions ont été adoptées par l’Assemblée Nationale et le Bundestag allemand à l’occasion du 55e anniversaire du Traité de l’Élysée. En 1963, personne ne parlait encore de transition énergétique et encore moins de partenariats sur ce sujet. 55 ans après que l’amitié entre ces deux pays ait été officialisée, comment bat le cœur franco-allemand et que peuvent attendre les villes de ce traité renouvelé et du nouveau gouvernement allemand ?

Nous avons rencontré Monsieur Pascal Gauthier, Conseiller économique, Transport Énergie Environnement à L’Ambassade de France en Allemagne.

La transition énergétique est un des grands enjeux actuels de l’Europe. Selon vous, comment pouvons-nous nous servir du soi-disant « moteur franco-allemand » pour avancer sur des sujets comme l’efficacité énergétique, les renouvelables, les projets citoyens, etc. ?

A la fois par leur poids démographique et économique, si on veut changer quoi que ce soit au niveau européen, et respecter les engagements de l’Accord de Paris, tous les regards sont tournés vers la France et l’Allemagne. On ne peut pas dire que les autres pays n’ont aucune importance, mais si les Français et les Allemands ne sont pas dans une dynamique, une bonne partie de ce qui pourrait être décidé par les autres pays ne pourra pas fonctionner correctement. En revanche, si Français et Allemands arrivent à se mettre d’accord sur certains points, il y a de grandes chances de pouvoir entrainer les autres pays et déjà d’amener un changement significatif.

Il se trouve que dans le passé nos pays ont fait des choix de politique énergétique extrêmement différents. Les Allemands ont décidé de sortir du nucléaire complètement d’ici 2022 et de développer les énergies renouvelables. Les Français avaient plus misé sur une énergie électrique, décarbonée, grâce au nucléaire avec une part de 75%. On voit que finalement, ces dernières années et derniers mois, il y a une convergence de points de vue entre les pays. Déjà sur les objectifs : tout le monde est d’accord qu’il faut respecter l’accord de Paris et on doit absolument pouvoir diminuer nos émissions de CO2. Mais on constate, notamment à l’occasion des élections allemandes qui ont eu lieu le 24 septembre dernier, que l’Allemagne qui apparaissait comme extrêmement moteur en la matière ces dernières années, apparait ces derniers mois presque un petit peu en retrait. C’est presque la France qui pousse un peu plus avec des propositions. Donc on est tous dans l’attente du contrat de coalition entre l’Union et le SPD. Les premiers éléments qui sont sortis du groupe de travail énergie et climat entre les deux partis ne sont pas aussi ambitieux que ce qu’on pourrait vouloir.

Y a-t-il déjà des pistes concrètes de collaboration dans la résolution ?

Il y a une piste qui a été mise noir sur blanc dans les résolutions du Bundestag et l’Assemblée nationale. C’est, en effet, le prix du carbone. Mais la formulation reste qu’une intention, c’est « il faut que nos pays travaillent sur ce sujet ». Ensuite, dans les résultats du groupe de travail des partis CDU/CSU-SPD, on fait référence à cette déclaration commune à l’occasion des 55 ans du traité de l’Elysée, mais ce n’est pas une formulation engageante. Mais ça ne veut pas dire que ce ne sera pas fait. On sait au moins que, dans un contrat de coalition allemand, quelque chose qui n’est pas écrit ne se fera pas ou s’il est écrit quelque chose, on ne fera pas le contraire.

De plus, poursuivre les mêmes objectifs, ne veut pas dire que les deux pays feront exactement la même chose : la France a indiqué qu’elle voulait réduire sa part de l’électricité nucléaire de 75% à 50%, ce qui n’a pas été le choix de l’Allemagne. L’Allemagne a encore beaucoup de centrales à charbon. Le point positif quand même dans l’accord qui semble se dessiner, si l’accord va jusqu’au bout – puisqu’il faut encore que les 450.000 membres du SPD puissent voter – c’est qu’on voit qu’il y a une commission qui va être mis en place pour décider la planification de comment on sort du charbon. Donc, on voit que chaque pays a ses voies différentes, mais il faut qu’on arrive à se coordonner et, au maximum, avoir des positions communes.

D’un point de vue français et européen, quelles priorités devrait se fixer la nouvelle grande coalition du gouvernement allemand pour faire avancer la transition énergétique des deux côtés du Rhin ?

Il y a deux priorités et les deux sont très liées. La première priorité serait le prix du carbone. Le carbone n’est pas cher. On est uniquement à 8 EUR/t aujourd’hui. Or on sait que, pour que les centrales à charbon les plus polluantes ne soient pas rentables économiquement, il faudrait que le prix du carbone soit minimum de 20, 25, 30 euros par tonne. On en est très loin. Donc aujourd’hui, les acteurs économiques investissent majoritairement ou en tout cas gardent leurs centrales à charbon en Allemagne ou en Pologne. On se retrouve aussi à avoir un problème de santé publique : regardez nos gouvernements, qui étaient convoqués la semaine dernière à Bruxelles pour s’expliquer sur les taux de pollution, en particulier les particules fines, certes dues à l’automobile, mais d’abord aux rejets des centrales à charbon. Donc, on aurait un prix du carbone élevé, on aurait automatiquement les acteurs économiques qui privilégieraient soit les énergies renouvelables soit des centrales, par exemple au gaz. Donc, le projet de contrat de coalition (s’il va jusqu’au bout), ce serait un point très positif si nous pouvions avancer sur ce prix carbone.

La deuxième priorité, c’est le plan de sortie du charbon en Allemagne. Aujourd’hui, les EnR ont atteint un niveau record en 2017, ça doit être de 36%. Mais la part du charbon reste à plus de 40% et elle n’a que très peu diminué dernièrement. Là il y a un enjeu de reconversion des régions charbonnières allemandes, je pense notamment à la Lusace et la Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Cela doit être accompagné.

Ce que j’ai vu aussi dans le contrat de coalition, c’est qu’il y a un volet bâtiment qui est extrêmement développé : il est prévu plus d’un milliards d’euros par an pour la rénovation thermique des bâtiments et des incitations fiscales etc.

Energy Cities défend avant tout la décentralisation du système énergétique. Grâce à des projets comme Tandem, qui accompagne des jumelages de villes axés sur la politique climat-énergie, nous rapprochons les deux pays au niveau local. La France est-elle prête à renforcer la coopération transnationale entre villes et consolider une démocratie européenne à travers l’action locale ?

C’est la question la plus difficile que vous posez. Par définition, ça ne peut se décider qu’au niveau local. On ne peut pas décréter au niveau national qu’il y aura des coopérations localement. Il faut pour ça que ce soit une volonté des territoires, des élus pour dire « j’ai envie de voir ce qui se passe de l’autre côté de la frontière », de nouer des partenariats. C’est assez intéressant de voir qu’il y a des territoires qui ne regardent pas ce qui se passent ailleurs. Et puis, il y a d’autres, qui sont très curieux et qui ont envie de voir ce qui se passe en Allemagne, en Suède, en Espagne, en Italie etc. Et je crois que nous avons beaucoup à apprendre de nos voisins. Et dans les deux sens ! Je me suis aperçu qu’il y a pleins de choses qui fonctionnent mieux en Allemagne qu’en France, mais inversement. C’est pourquoi il est important qu’on apprenne les uns des autres. Les échanges ont deux vertus : un de servir de modèle, et deuxièmement, ça permet de mieux connaître l’autre.

On a cette richesse à la fois culturelle et technologique en Europe et il faut qu’on continue à la cultiver.

Propos recueillis par Miriam Eisermann fin janvier, avant que les partis allemands ne trouvent un accord de coalition. Cet entretien s’inscrit dans le cadre des activités franco-allemandes menées par Energy Cities. En complément des échanges entre les villes du projet Tandem, nous préparons actuellement une série d’événements locaux en amont de la semaine franco-allemande de la transition énergétique prévue en janvier 2019.

Ces coopérations franco-allemandes qui font avancer la transition énergétique :

…et d’autres actions dans notre base de données 



© photo Brandenburg Gate, Sean Gallup / Getty Images / visuel de la semaine franco-allemande de la transition énergétique