Le pouvoir de l’éphémère

Edito politique par Claire Roumet


À propos

Date de publication

12 mai 2020

Entre les injonctions contradictoires à « construire le monde d’après », en essayant toutefois de retrouver un peu de « normalité », cette période continue de nous donner le tournis ! Les analyses qui tentent de démêler les questions et d’en décrypter les réponses sont si nombreuses qu’elles ne font qu’ajouter à la confusion ambiante.

Je pourrais arrêter là cet édito. Ne rien dire de plus, puisque déjà tant (trop ?) d’opinions sont étalées !

Pourtant, c’est bien maintenant qu’il faut être force de propositions. Ce que nous pensions impossible devient possible… Et ce que l’Union européenne va faire de ces propositions sera crucial pour son avenir :  un second souffle, ou son effondrement.

Ce qui m’étonne le plus, dans cette période troublée, et troublante, c’est notre capacité d’adaptation. Face à l’urgence, des praticien·ne·s du milieu hospitalier ont adapté les normes pour le matériel d’assistance respiratoire. Mais ce sont aussi les règles « immuables » qui régissent nos budgets nationaux qui sont complètement remises en cause, de même que les conditions des Aides d’Etat, et tous les secteurs doivent repenser qui leur modèle économique, qui leurs modes de production. Je suis positivement fascinée. Je suis d’une nature optimiste, et tout en gardant en tête que cette crise engendre de terribles drames, je constate que nous sommes capables collectivement de changer nos modes de vies, de travail, d’éducation.

Un petit exemple, parmi tant d’autres. La Région de Bruxelles, va développer 40 km de piste cyclables en moins de 15 jours. En comparaison, la ville avait augmenté l’offre de 26 km entre 2012 et 2018. Voilà que ce qui était annoncé comme long et très coûteux devient finalement possible, voire relativement simple. Il existe ainsi de nombreuses solutions éphémères et que l’on peut néanmoins rendre pérennes (ou au moins reconduire), pour répondre au grand défi de rendre nos villes plus résilientes.

L’« urbanisme tactique » est un des mots clefs du moment, et c’est intéressant de se pencher sur ce qu’il recouvre. Il part d’un principe simple : tester le changement d’usage, proposer un autre partage de l’espace public. Il est très souvent utilisé, mais toujours ou presque de façon marginale, alors que l’on pourrait en faire la méthode principale de planification urbaine. A Energy Cities, nous testons son pouvoir transformateur dans le projet Living Streets, et quel que soit le contexte dans lequel il est proposé de changer l’affectation d’une rue, c’est toujours un franc succès. Très souvent, ce changement devient même permanent.

L’urbanisme tactique n’est pas facile à appliquer avec ses plans d’urbanismes pluriannuels, le droit des marchés publics… mais il est surtout en conflit total avec nos processus de décisions actuels. C’est sans doute un grand chantier qui nous attend pour redessiner la gouvernance, de revoir qui des habitant·e·s, des usagers, des praticien·ne·s, du conseil municipal… sont les mieux placé·e·s pour proposer, décider, mettre en œuvre.

C’est aussi en contradiction avec les directives européennes. Celles qui déclinent les critères de Maastricht d’endettement public. Mais aussi celles qui pensent l’énergie par secteurs alors qu’il faudrait avoir des politiques par quartier, ou encore celles sur les approches partenariales entre villes, régions, Etats et institutions européennes. Nous avons récemment listé les politiques qui doivent être repensées en priorité et avons demandé, dans une lettre à la Présidente de la Commission européenne, que le plan de relance européen s’appuye sur les ressources endogènes des territoires, en particulier la force des collectifs de tous les secteurs, et sur la solidarité citoyenne.

C’est d’un plan de résilience à tous les niveaux dont l’Europe a besoin, si elle veut poursuivre sa mission de garantir un futur à ses citoyen·ne·s. Et la bonne nouvelle, c’est que nous avons la capacité d’adaptation pour repenser nos modes de faire et ce qui fait lien entre les territoires, entre nous, habitant·e·s de ces territoires, et avec notre environnement.