Pédaler pour sortir de la pandémie

Les pistes cyclables provisoires : une contremesure pour lutter contre le COVID


La bicyclette
On se disait c’est pour demain
J’oserai, j’oserai demain
Quand on ira sur les chemins
À bicyclette (Yves Montand – La Bicyclette)

S’il y a bien une chose positive qui est ressortie de cette pandémie, c’est l’essor de la pratique du vélo. En effet, le port du masque et les mesures de distanciation sociale ont malheureusement découragé de nombreuses personnes d’utiliser les transports en commun. Et pour limiter le recours à la voiture personnelle, les responsables de nombreuses villes européennes ont pris dans l’urgence la décision d’élargir, d’étendre ou de créer des pistes cyclables. Ces pistes cyclables provisoires, ou coronapistes, ont montré que des aménagements qui, habituellement, prennent des années avant d’être adoptés pouvaient être mis en place en quelques jours seulement.

De Berlin à Bordeaux et de Bruxelles à Budapest, le premier semestre 2020 a vu fleurir des pistes cyclables, permanentes ou temporaires, dans de nombreuses villes d’Europe et de par le monde, afin d’encourager les modes de transports durables en temps de COVID. Selon une étude allemande sur 106 villes européennes , 11,5 kilomètres de pistes cyclables provisoires en moyenne par ville avaient été créés en août 2020. Certaines villes ont saisi cette opportunité pour mettre en place des mesures qui avaient été décidées depuis longtemps, tandis que d’autres en ont profité pour tester de nouvelles stratégies. Ces aménagements provisoires sont particulièrement visibles dans le paysage urbain : les coronapistes sont en effet habituellement délimitées par de grandes lignes jaunes et des plots de circulation et occupent la voie de droite de la chaussée, ou un ancien couloir de stationnement. Le coût au km de ces pistes varie grandement, de 9 500 € à Berlin à 25 000 € à Séville.

Fabian Deter

Lancé initialement à Bogotá, en Colombie, le concept a été mis en pratique pour la première fois en Europe dans un arrondissement de Berlin le 25 Mars 2020. Huit autres villes allemandes l’ont ensuite adopté et construit en tout 25,5 km de pistes provisoires entre mars et août 2020 (situation en septembre 2020, selon le magazine allemand Die ZEIT). La Ville de Stuttgart a même été distinguée par l’Etat fédéral et récompensée pour la rapidité de sa réaction et la valeur de démonstration de ses mesures en faveur des deux-roues. Dès le début de la crise du coronavirus, les responsables de la ville ont en effet élargi l’offre en créant de nouvelles pistes cyclables dans des rues par ailleurs très fréquentées. Et bien avant la pandémie, Stuttgart, qui abrite le siège du constructeur automobile Porsche, avait décidé de devenir une ville propice à la fois à la voiture et à la petite reine, les déplacements à vélo devant représenter, à terme, 25 % des déplacements dans la ville. Pour atteindre cet objectif, Stuttgart entend investir 40€ par habitant et par an dans la construction d’infrastructures cyclables. 

Des budgets plus audacieux pour le vélo

En mai dernier, le gouvernement britannique a débloqué 250 millions de livres pour permettre aux collectivités locales d’investir dans des pistes cyclables et chemins piétonniers provisoires. En France, 1 million de bicyclettes ont pu être réparées et 50 emplois ont été créés l’an passé grâce à une prime de 50 € par personne octroyée par le gouvernement dans le cadre de la lutte contre le COVID-19. Et selon l’association « Vélo & territoires »,  les déplacements à vélo dans la première moitié de l’année 2020 ont augmenté de 13 % dans les zones urbaines par rapport à la même période en 2019. Le succès est encore plus retentissant en Belgique : l’initiative publique Bike for Brussels a ainsi enregistré un bon spectaculaire de 84 % du nombre de cyclistes en un an, pendant septembre 2019 et septembre 2020. L’une des explications se cache peut-être derrière la création de 40 km de nouvelles pistes cyclables par la région de Bruxelles-Capitale entre mars et juillet 2020. Quant à l’Irlande, elle vise une reprise verte et a déjà alloué 360 millions d’euros à la promotion de la pratique cyclable en 2021.

Aux Pays-Bas, pays réputé pour être le paradis des vélos, la Ville de La Haye prévoit d’investir 65 millions d’euros (soit 126 € par habitant) dans son réseau cyclable. Ce budget a été intégré au programme « Place aux vélos pour 2020-2025 » publié en décembre dernier. Ce programme devrait permettre à La Haye de se rapprocher de son objectif de faire de la petite reine son principal mode de déplacement d’ici 2040. Autant que faire se peut, les travaux sur les pistes cyclables sont menés conjointement à d’autres travaux prévus dans la ville, comme la réfection des voiries, des égouts ou encore les travaux d’aménagement pour améliorer la sécurité routière. Et dès que cela est possible, la Ville collabore avec des partenaires régionaux et nationaux.  Après avoir testé des pistes plus larges et un plus grand sas vélo au pied des feux tricolores, la ville voisine de Rotterdam a décidé de donner, de manière permanente, plus de place au vélo dans les années à venir (Fietskoers 2025). 

La bataille des coronapistes

Ces aménagements provisoires sont cependant loin de faire l’unanimité. La mesure temporaire prise à Marseille a ainsi été de très courte durée, la coranapiste ayant été enlevée au bout de seulement une semaine, la municipalité arguant que cette piste de 9 km (qui avait coûté près de 600 000 euros en tout) n’était pas assez fréquentée. Quelques mois et de nombreuses critiques plus tard, les discussions sur la création de 23 axes pour de nouvelles coronapistes ont pu reprendre lors du Conseil Municipal de Marseille en novembre dernier. Pour certains conseillers, il y a urgence à développer l’actuel réseau de pistes cyclables, qui ne compte que 100 km, alors que d’autres villes  plus petites comme Strasbourg ont un réseau de 600 km et que la capitale, Paris, compte 800 km de pistes cyclables.

A Berlin également, les coronapistes ont reçu un accueil mitigé de la part de certains. Ces nouvelles pistes se sont attiré les foudres du club automobile allemand ADAC et des partis politiques comme la CDU, le FDP et l’AFD ont accusé des élus d’arrondissement d’encourager la pratique du vélo au détriment de la voiture. La bataille pour le contrôle des rues de Berlin ne fait que commencer, une plainte ayant été déposée à l’encontre du Sénat, à savoir le gouvernement de la Ville-Land de Berlin.

Effets à long terme

Lorsque les priorités politiques sont claires, les décisions peuvent être prises rapidement pour parer à l’urgence. En un sens, le Covid a été une grande leçon et a montré que l’urbanisme tactique pouvait devenir un urbanisme stratégique lorsque la volonté politique était là. Une enquête auprès de 105 collectivités locales en France publiée en octobre 2020 le confirme : la majorité des répondants prévoient de pérenniser ces pistes provisoires et d’en faire des infrastructures cyclables permanentes. Les quelques 8 % de répondants qui déclarent abandonner les coronapistes expliquent que cela est dû soit à un manque d’acceptabilité soit à un « choix qui a été fait de privilégier un aménagement plus classique, en prenant le temps de la concertation ». Une étude allemande publiée en septembre 2020 a montré que la pérennisation des pistes provisoires créées par les villes européennes permettrait d’économiser 2,3 milliards d’euros par an en frais de santé.

Portée par la crise du coronavirus dans les centres urbains, la pratique cyclable ne pourra continuer à se développer que si des décisions audacieuses sont prises au niveau européen. Or la stratégie européenne sur la mobilité fait totalement l’impasse sur la mobilité dite active, à savoir la marche et le vélo. Comme le relevait Euractiv en décembre dernier, la pratique cyclable n’est même pas mentionnée dans le plan d’action en 10 étapes de la Commission pour atteindre une mobilité durable.

La Fédération européenne des cyclistes (FEC) basée à Bruxelles a évalué 27 projets de PNEC et PNEC finaux  pour 2021-2030 par rapport à 13 indicateurs liés au cyclisme ou à la mobilité durable. Les Etats membres ont commencé à prendre plus au sérieux  le potentiel de décarbonisation du vélo, mais il reste encore un long chemin à parcourir, comme le souligne le rapport de la FEC « Le cyclisme sous-représenté dans les plans nationaux définitifs en matière d’énergie et de climat des Etats membres de l’UE » publié le 8 octobre dernier. Seuls la  France et l’Autrice ont reçu la mention « excellent ».

Des infrastructures adaptées, qui sécurisent et rendent accessible la pratique du vélo, doivent devenir une priorité des plans d’action nationaux et locaux en matière d’énergie et de climat. Mais s’il y a bien une leçon à retenir des coronapistes, c’est qu’il est possible (et parfois nécessaire) de prendre des mesures rapidement et de manière pragmatique. Ce sont ces petits pas, pris en période d’incertitude, qui aideront à créer les villes de demain, capables de résister aux pandémies.

Ressources destinées à faciliter la tâche des collectivités locales

Découvrez le dispositif de suivi des mesures cyclables prises en réponse à la crise du Covid développé par la Fédération européenne des cyclistes (FEC) afin de comparer les infrastructures et les budgets alloués et surveiller leur évolution en Europe

Recommandations de la FEC pour des rues plus saines et plus sûres une fois la crise du coronavirus passée (en anglais)

Guide publié par le Sénat de Berlin expliquant comment créer des pistes cyclables provisoires. Disponible en allemand, anglais et français

Le Club des villes et territoires cyclables a publié un guide à l’attention des collectivités locales, guide qui a été présenté lors d’un webinaire (en français) en décembre 2020