Bras de fer autour de la future loi sur la protection du climat en Allemagne

Où en est-on et de quels exemples pourraient s’inspirer Angela Merkel et son équipe


Ce vendredi, le gouvernement allemand doit adopter un nouveau projet de loi sur le climat. Pour Angela Merkel, c’est la dernière occasion de prendre le leadership en la matière et de montrer que le pays que l’on a surnommé le pionnier de la transition énergétique est à la hauteur de sa réputation. 

Une ferme indécision

L’Allemagne, qui a décidé de sortir du nucléaire d’ici 2022 et de renoncer au charbon d’ici 2038 (une loi sur la sortie du charbon est d’ailleurs en cours de préparation) fait face à un moment décisif avec l’adoption, par le gouvernement allemand, d’un nouveau paquet de mesures sur le climat ce vendredi 20 septembre. Mais les partis de la coalition gouvernementale en étaient encore en ce début de semaine à négocier les mesures qui figureront dans le projet de loi. Les nuages s’amoncellent en effet au-dessus de la grande coalition rassemblant les Sociaux-Démocrates du SPD et les Chrétiens-Démocrates de la CDU/CSU. Les partis s’accordent à vouloir renforcer la législation sur le climat afin de  réduire de 55 %, par rapport à 1990, les émissions de gaz à effet de serre du pays d’ici 2030. Mais jusqu’où sont-ils prêts à aller, tel est le sujet des épineuses discussions de cette semaine et des compromis qu’ils devront arbitrer entre contraintes écologiques, économiques et sociales.

Autrement dit : le gouvernement allemand sait où il veut aller, mais trois jours avant le départ il n’a toujours pas décidé du véhicule qu’il compte emprunter pour y arriver.

Les Sociaux-Démocrates militent en faveur d’une augmentation des taxes sur les énergies comme l’essence et le fuel – tout en appelant à redistribuer une partie des recettes de ces taxes aux ménages à faibles revenus. Les Chrétiens-Démocrates, eux, préfèrent réguler les émissions au travers d’un système de quotas inspiré du système d’échange de quotas d’émissions de l’Union Européenne, qui n’a pourtant guère fait ses preuves.

L’Allemagne ne serait pas le premier pays à introduire un système de tarification du carbone. A ce jour, 25 taxes carbone et 26 systèmes d’échange de quotas d’émissions existent de par le monde (source). Dans un dossier publié en juillet dernier, le  Clean Energy Wire a comparé plusieurs méthodes de fixation du prix du carbone que pourrait adopter l’Allemagne. Certains pays européens ont opté pour un prix plancher (c’est déjà le cas au Royaume-Uni, ce le sera bientôt aux Pays-Bas) ou pour une taxe carbone (Danemark, Suède, Finlande, France et Irlande).

Quelle que soit l’option qui sera retenue par le gouvernement allemand, la nouvelle loi sur le climat devra être suivie d’effets et avoir un réel impact sur la manière dont l’énergie est produite et consommée dans tous les secteurs. Les mesures prises doivent conduire à une baisse significative des émissions de CO2, tout en restant justes socialement.

Outre un prix du carbone qui pourrait être établi à (seulement) 35 €/t CO2 en 2020, la coalition prévoit également un certain nombre d’incitations afin d’encourager les ménages et les entreprises à investir dans des mesures visant à la neutralité carbone. C’est le cas notamment des Chrétiens-Démocrates qui caressent l’idée d’un recours aux obligations vertes. Gérées par la Fondation pour le climat, un organisme gouvernemental, ces obligations en faveur du climat garantiraient un taux d’intérêt de 2 % sur une période de 10 ans (jusqu’en 2030). L’argent ainsi collecté servirait à financer, sans frais d’intérêt, les mesures prises par les ménages et les entreprises pour protéger le climat. Mais les Sociaux-Démocrates sont opposés à ce mécanisme, car ils y voient un moyen déguisé d’accroître la dette publique.

D’autres propositions concernent la baisse des prix de l’électricité, des abattements fiscaux, une baisse de la TVA sur les billets de train, ou encore une augmentation des taxes sur les vols domestiques. Des nouvelles mesures incitatives en faveur des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique pourraient également être appliquées pour l’achat de véhicules électriques, à l’occasion de travaux de rénovation énergétique ou du remplacement d’un système de chauffage. La liste est longue et évolue constamment.

Impatience des collectivités locales allemandes

En août dernier, les maires allemands de plusieurs réseaux de villes – dont  Energy Cities – ont appelé la Chancelière, dans une lettre ouverte, à prendre une action forte en faveur du climat, y compris en augmentant le coût du carbone.

Au niveau régional (Länder) et dans les villes, les responsables politiques allemands n’hésitent pas à afficher des objectifs ambitieux, parfois au-delà des objectifs imposés par le niveau fédéral en matière d’énergie et de climat. 84 villes allemandes ont signé la Convention des Maires, s’engageant ainsi à réduire considérablement leurs émissions de CO2. Outre des pionniers du développement durable mondialement connus comme Fribourg, le Cabinet Climat allemand peut s’inspirer de quatre autres exemples :

Un budget qui intègre les questions climatiques : Münster a été la première ville allemande à se désengager et désinvestir des énergies fossiles. Depuis 2015, son portefeuille d’investissements est neutre en carbone et intègre des exigences climatiques.        

Une vision et une stratégie radicales : la Ville de Francfort a été l’une des premières villes allemandes à adopter une feuille de route vers un approvisionnement énergétique 100% renouvelable.

La transition énergétique, pierre angulaire de l’innovation urbaine : la Ville de Bonn a fait œuvre  de pionnier en imposant, dès 1997, des normes énergétiques pour les nouvelles constructions supérieures aux normes nationales. Tout nouveau bâtiment municipal, et notamment les crèches et les écoles, doit respecter la norme KfW-55 et intégrer des éléments de la maison passive.

Au cœur de la ville de Heidelberg, Bahnstadt, le plus grand quartier passif au monde, est en cours de finalisation.

Et au-delà des frontières allemandes :

Obligations climatiques : Paris a émis avec succès des obligations vertes  pour un montant de 300 millions d’euros, portant un taux d’intérêt de 1,75 % et arrivant à échéance en 2031. 20 % de cette somme est réservée au financement de projets d’adaptation climatique (en savoir plus).

Une telle décision gouvernementale peut-elle être prise sans consulter les citoyens ?

Le processus préparatoire ayant débuté ce printemps, c’est un Cabinet Climat spécialement créé pour l’occasion et composé de la chancelière et de divers ministres (Environnement, Economie, Finance, Mobilité, Construction/Infrastructure, Agriculture) qui est à la manœuvre. Le gouvernement allemand s’appuie en grande partie dans ses discussions sur les scénarios présentés dans trois études (1,2,3) commanditées auprès d’instituts de recherche allemands réputés. Mais à quel moment  Angela Merkel et son équipe ont-ils encouragé une participation directe de la société civile et des collectivités locales et régionales à la définition des priorités de cette nouvelle loi sur le climat ? Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas renouvelé l’expérience de consultation citoyenne organisée entre 2015 et 2016 en amont du  Plan d’action fédéral en faveur du climat 2050 (publié en novembre 2016) ? Une plateforme transversale et multipartisane appelée « Aktionsbündnis Klimaschutz » existe déjà. Créée en 2015 par le Ministère fédéral de l’environnement, elle se réunit deux fois par an. Mais le gouvernement fédéral n’ayant qu’une place d’observateur, le dialogue n’est peut-être pas suffisant pour permettre une réelle co-construction de la politique climatique allemande.

Un bon exemple d’un tel processus participatif est à chercher du côté des Pays-Bas. En 2017, le gouvernement néerlandais invitait toutes les parties prenantes à négocier un nouvel accord sur le climat qui établisse des objectifs concrets par secteur, un partage clair des responsabilités et repose sur une analyse économique solide. Cinq tables rondes ont été organisées : industrie, agriculture, bâtiments, mobilité et électricité (plus d’exemples de bonnes pratiques de gouvernance participative).

L’Allemagne tiendra-t-elle ses promesses sur l’Accord de Paris comme le répète la ministre de l’environnement Svenja Schulze ? L’Allemagne n’émet que 2 % des émissions mondiales de CO2 (l’Union européenne 10 %), mais elle représente un poids démographique et politique important en Europe. Alors qu’il devient de plus en plus urgent de prendre des mesures pour le climat, Angela Merkel n’a pas d’autre choix que de prendre le leadership sur ce sujet. Un réel leadership, avec un vrai plan. Maintenant.